« Les personnes handicapées sont des professeurs de pragmatisme »

Par Alice Rivières26 décembre 2012

J’écoute et retranscris la leçon inaugurale d’Antoine Hennion[^1] à Speap le 27 septembre 2012 sur le thème :

« Enquêter sur ce que font les gens : le handicap et l’aide à domicile comme relation créatrice »

Ces temps-ci, Antoine Hennion travaille sur des choses qui résonnent vraiment étroitement avec les nôtres, notamment sur les aides à domicile. Je retranscris ci-après une bonne partie de son intervention qui est ultra pertinente pour ce qui nous préoccupe sur les méthodes d’enquête, tout autant que sur le sujet de nos enquêtes.

Antoine Hennion : il faut regarder ceux qui aident. Inventer des nouvelles manières de faire de la recherche. Sortir de l’opposition connaissance d’un côté et action de l’autre. L’enquête est un dispositif qui met à l’épreuve, du coup cette enquête elle-même est active, elle fabrique du savoir.

Un des mots clés de l’enquête, c’est le « on ne sait rien ». Le « on » est distribué, et pour investiguer là-dessus, il faut monter des dispositifs explicites pour les rendre plus présents, à la fois sur le plan du savoir, de l’action et de l’expression.

À propos des personnes handicapées :

Ce sont des « professeurs de pragmatisme ». « Ce que je suis, ce qu’est mon handicap, c’est rien, ce n’est pas un état. Ce n’est pas quelque chose qui est défini médicalement ou socialement comme une étiquette. C’est la série d’épreuves que quotidiennement, en permanence, le cours de la vie m’impose. »

Épreuves complètement hétérogènes qui vont du matériel, du fait qu’il y ait toujours une marche là où il ne faut pas quand on est en fauteuil roulant, au collectif – je ne peux vivre mon handicap que parce que en permanence j’ai tout un réseau de proches qui réagit, résiste, sur lesquels je m’appuie, avec lesquels je me bagarre. Et puis bien-sûr ce corps est cet ennemi intime, qui est à la fois moi et qui est ce que j’ai, et qui est, par la maladie, par le handicap, transformé en un lieu d’épreuves explicites. (…) L’autre idée essentielle c’est que ces savoirs sont toujours constitués de manière indirecte : il faut se constituer soi-même à travers les propositions, les objets, les tentacules, qu’on lance vers les autres. Et ces autres en l’occurrence, sont des femmes (il n’y a pas besoin d’être féministe pour le mettre au féminin, 100% des aides à domicile étant des femmes) dans des services qui se multiplient. La plupart des ressources actuelles vont vers ce genre d’associations avec des médecins, des infirmiers, des coordinateurs et puis en bas de l’échelle, des personnes qui vont chez les gens pour les aider. Et là aussi, c’est un problème de méthode : cette façon indirecte d’accéder à ce savoir commun, ces savoirs des handicapés et des personnes fragiles, savoirs de ceux qui commencent à les aider, et qui prennent ça comme une enquête. Une enquête au sens fort du terme : on ne sait pas ! D’abord si on a le droit d’aider les gens, qu’est-ce qu’on fait quand on aide les gens, comment s’y prendre, qu’est-ce qu’ils veulent, comment ils l’apprécient, quelle est leur demande, même, tout simplement. Et on l’expérimente, on la fait d’abord, on sent d’abord, et puis on en discute collectivement, on trouve des trucs matériels, donc on est absolument dans ce genre de relations.

Antoine Hennion critique alors la vision classique du sociologue qui verrait en ces aides des personnes dominées par le système, par exemple médical, et qui prendrait soin de se « dégager » des dispositifs de peur de voir son travail de sociologue biaisé par l’institution. Or ces aides à domicile ne sont pas dominées, en tous cas pas dans la majorité des cas. Elles sont « experts ».

« Expertes, c’est un bien mauvais mot parce qu’il accentue l’aspect connaisseur. “Humaines”, ça accentue trop l’aspect selon lequel elles travaillent effectivement sur l’affectif, l’humain… Elles sont les deux : elles sont en train d’inventer une relation d’accompagnement, pour tous, et en particulier pour les personnes handicapées et fragiles. Et pour le sociologue qui décide d’accompagner cette épreuve, c’est une leçon de pragmatisme extraordinaire ! Les choses ne sont pas neutres, elles sont là, elles sont tissées, elles ne sont pourtant pas exprimées. Et on les rend présentes, on les fait jouer, on les fait s’exprimer – donc à la fois faire sentir, faire comprendre, faire agir… à travers cette expérience. [Ou plus exactement à travers] les expériences cumulées : l’expérience du sociologue qui vient les voir, l’expérience de l’aide qui rentre en contact avec des handicapés, et l’expérience du handicapé qui découvre (le mot n’est pas très bon), ce qu’est son handicap, ou mieux : qui le fait surgir, qui le rend présent et qui arrive à le manipuler à travers cet appui sur les autres et sur les dispositifs.

Il ne faut pas trop vite sauter sur ces gens à coups d’intérêt et de sollicitude, rappelle Antoine utilement. Pas avant une certaine enquête. Du coup, son équipe de chercheurs est passée par les institutions, par ceux qui sont déjà en contact avec les personnes handicapées, choisissant des personnes qui posaient différents problèmes aux services d’aide. L’équipe de chercheurs est allée voir ces personnes avec la directrice de l’institution pour expliquer leur démarche de sociologues et voir s’ils seraient d’accord. Puis ils sont allés sur le terrain par groupe de deux sociologues, avec l’idée d’y passer une journée entière. Mais la forme a beaucoup changé, selon les personnes : certaines préféraient des entretiens, d’autres préféraient qu’on les suive dans leur quotidien.

La question cruciale de la forme, de la restitution :

« Le compte-rendu de cette expérience partagée prend certaines formes : raconter une journée, c’est forcément un roman, un récit. Parfois des récits très divergents : on est deux, on va chez la même personne, on prend les mêmes notes, et dans les compte-rendus, les faits sont les mêmes mais la couleur, la tonalité, pouvaient être très différentes. »

À propos des personnages qu’ils ont rencontrés : l’idée assez évidente que « le handicap est à la fois ce qui vous tient – et que ce n’est pas pour ça qu’il est malléable ou qu’on en fait ce qu’on veut – mais qu’il est pourtant entièrement ce que l’on en fait » est une sorte de constante de ces personnages. « C’est en cela qu’ils sont professeurs en pragmatique : ils sont obligés, par leur état, de faire attention à tout comme une épreuve possible, où un échec est toujours possible. Donc ils sont sur-réflexifs d’une certaine manière : il faut anticiper en permanence. (…) Cette sur-attention est passionnante parce qu’elle est une façon de mettre en évidence, de faire voir beaucoup plus clairement, cette espèce de constitution de ce qu’on est. Or ces stratégies pour être ce qu’on est peuvent être complètement différentes. » Par exemple le cas de ce tétraplégique, qu’ils ont appelé Ulysse dans leur rapport : « lui, c’est un stratège du handicap. Il a tout construit, y compris physiquement sa maison, pour ne pas être handicapé. » Il a fait lui-même les dessins de sa maison.

Tous les liens, les subtilités, que les aides soignantes connaissent parfaitement, sont là autant dans l’action que dans la connaissance :

« C’est possible de les décrire, mais il faut le faire très subtilement, dans l’écriture, sinon on loupe quelque chose. Ulysse dit qu’il a appris la psychologie. C’est à dire qu’il a appris à apprendre aux aides soignantes à se comporter professionnellement et efficacement avec lui. »

C’est ça, aussi, la réflexivité : j’ai appris à vous apprendre comment m’obéir. “Parce que c’est là que vous-mêmes, comme aides, vous vous accomplissez beaucoup mieux.” 

Toutes les aides soignantes qui ne connaissaient pas Ulysse ont commencé à tiquer quand Antoine leur a raconté ça en réunion, en disant le fameux : « Oui, mais là, il faut poser des limites, parce que sinon ils sont aussi en train de demander tout. Il faut aussi savoir contrôler ce qui se passe ! » Et les deux aides soignantes qui s’occupaient d’Ulysse ont dit : « ce n’est pas du tout comme ça qu’on le vit, on a appris une dimension de notre métier, (…) on s’est senties de meilleures professionnelles. ».

Les chercheurs s’étaient dit qu’ils allaient suivre chaque personne une journée, mais « le handicap est collectif, il est distribué, ce n’est pas une propriété d’un individu sur une journée, c’est précisément ce réseau obligatoire de liens hétérogènes, multiples, matériels, institutionnels, financiers… et donc l’hypothèse même de les observer chez eux durant un temps limité, était le contraire même de ce qu’on montrait, c’est à dire : une sorte de collectif distribué avec des points saillants, qui étaient les handicapés eux-mêmes. »

Il y a aussi l’exemple de cette vieille dame bien alzhémérisée, qui, au contraire d’Ulysse, se laisse complètement faire par les aides : « je ne m’occupe de rien, je me chosifie, je suis à vous, mon corps je m’en sépare, il ne marche plus, vous êtes des professionnelles, donc vous savez mieux que moi. » C’est la chouchoute du service, parce qu’elle donne toujours plein d’attentions et de gâteries aux aides. « Là aussi elle s’est construite – comme le mot est faible ! – elle a fait son handicap à travers cet appui sur les autres ».

La psychologue du service, en réaction à Ulysse qui ne voulait pas d’une certaine intervention de l’aide soignante : « c’est du déni du handicap ! », lui qui justement avait tellement bien maîtrisé son handicap qu’il pouvait se permettre d’être autre chose qu’un handicapé… Soit dit en passant, note Antoine, il a épousé sa femme et fait un enfant après l’accident qui l’a rendu tétraplégique. Bravo la psychologue ! Il y aurait une analyse à faire, remarque Antoine, de ces discours qui, dès qu’on monte un peu dans la hiérarchie, sont encore plus présents, une espèce de psychologisme ambiant avec ces mots : « faut faire son deuil, déni du handicap etc. » Et quand on se rapproche des aides, on voit que à la fois ça les aide, elles s’appuient sur ce genre de vocabulaire, mais dès qu’un regard comme le nôtre dit à peu près les mêmes choses, on a l’impression d’un déblocage. « Déni du handicap » pour Ulysse, elles ont tout de suite vu que ça ne pouvait pas coller. De même pour cette fille (victime d’un IMC) et sa mère, où les psys voyaient un « danger de couple fusionnel »… C’est comme si une partie du service visait à séparer la mère de la fille. Nous, dit Antoine, ce n’est pas ça qu’on voyait quand on regardait cette mère et sa fille. Ce qu’on voyait c’était l’image du dévouement absolu.

Sur l’inadéquation de l’idée de transparence, selon laquelle « tout pourrait se dire » : quand on est en situation d’observer les choses du handicap,

« on rentre dans le corps, dans les appartements, dans les lieux de toilette, des personnes, et rien ne peut se dire ! Tout doit se dire à mi-mots. Il faut faire très attention à cette espèce de respect minimum de l’intimité. (…) Ce dont il s’agit à cet endroit-là est tout sauf transparent, jugeable, objectivable. Et ce respect-même de ce qui peut se dire et de ce qui ne peut pas se dire, fait partie de la relation d’aide. Les aides à domicile sont des virtuoses de cet exercice très difficile, et nous on était plus que perplexes parce que même le compte-rendu de ces choses qu’on peut dire sans les dire était très compliqué. »

La deuxième étude menée par Antoine et son équipe a consisté à faire exactement l’inverse, c’est à dire à oublier les personnes d’une certaine façon, pour suivre leurs réseaux.

« C’est des dossiers, aussi, les handicapés ! C’est des problèmes, c’est des épreuves – certaines dramatiques (la décision de placement par exemple… et alors la vie bascule complètement). (…) C’est quand on vous vire de chez vous que vous vous rendez-compte que vous êtes à moitié votre chez-soi. (…) Et puis des épreuves beaucoup plus ordinaires, il y en a en permanence ! La toilette par exemple. (…) Vous vous torchez tous chez vous, et ça fait pas une affaire ! Ben oui, mais si c’est quelqu’un d’autre qui vous torche, d’un seul coup vous comprenez ce que c’est que cet intime… Cette chose qu’on fait mais qu’on ne dit pas. (…)

Faire la toilette de quelqu’un, ce n’est pas des bonnes pratiques, c’est un savoir-faire en situation. Celle qui fait des « bonnes pratique » va être douce, humaine : “ah ben voilà Mme Michu, je vais vous torcher gentiment mais ne vous inquiétez pas…” Catastrophe ! La seule bonne façon de faire, c’est de faire comme si on ne la torchait pas. [Parlant tout en faisant le geste de torcher] “Et donc l’autre jour votre fille, elle est venue …” Et hop, ça passe tout seul ! C’est quoi qui se passe, là ? Est-ce qu’elle ne sait pas qu’elle est torchée ? Ben si ! Est-ce qu’elle ne sait pas qu’elle torche ? Ben si. Les deux savent de quoi il s’agit, et la condition pour que ça se passe naturellement, c’est qu’on n’en parle pas… C’est le rôle de cette espèce de position que l’on a appelée ruse exprès, qui consiste en permanence à faire sans le faire, (…), à regarder ailleurs. Le regard est évidemment une façon de faire sortir les choses. Quand la personne s’énerve, vous l’affrontez ? Non, vous ne l’affrontez pas, vous parlez d’autre chose. Toutes ces façons de faire, cet art de dévier les coups, de ruser, est un art de faire en situation, très difficile à mettre en bonnes pratiques. »

Les formes de rapports (de recherche) sont alors très compliquées et déterminantes :

« Par exemple si on décrit le travail des aides à domicile comme une sorte de ruse, c’est une forme positive (…), c’est un mensonge pour les personnes, c’est quelque chose d’un peu compliqué ! Si c’est transformé en “cours-pour-les-aides-soignantes”, ça devient une catastrophe évidemment ! On ne va pas apprendre aux aides soignantes à être rusées, mensongères, et à entretenir la fiction. »

Sur l’idée de fiction :

« Elle a une connotation évidemment artistique, dans la mesure où c’est un mot qui vient de la théorie de la littérature. Et maintenant, l’essentiel de la théorie de la fiction de la littérature, c’est quelque chose d’un peu curieux, puisque ça consiste à bien montrer – ce qui est un phénomène littéraire bien précis – qu’on est extrêmement sensible au fait qu’un récit est fictif. Donc la différence, non pas entre la vraie réalité vraie et puis la fiction, entre [le réel et ] un récit de fiction, qui dit plein de choses parce qu’il est décalé du monde réel, mais qui n’est pas le monde réel. (…) Ce n’est pas cette fiction-là qui nous a intéressés. Fiction, c’est quoi ? Ça veut dire que dans l’aide à domicile, on n’arrête pas de faire de la fiction. Mensonge au 1er degré : on ne dit pas à la personne que sa maladie veut dire qu’elle est morte dans deux mois. Si on arrive à le dire un petit peu différemment c’est mieux, donc mensonge ! Ce n’est pas : “tout va très bien Madame la Marquise”, mais il y a des choses qu’on ne dit pas.

Et puis, mensonge au 2nd degré : toutes ces choses… par exemple à quelqu’un de complètement déprimé : “alors, on a une bonne tête !” C’est quoi ça ? Des espèces de mensonges performatifs qui produisent un état un peu meilleur. Donc on est très proche de la ruse, là. Une fiction dite comme ça, c’est une espèce de mensonge qui aide les gens à vivre.

C’est pas du tout vers ça qu’on est allés, en regardant finalement ce travail de mise en scène de leurs propres relations, par les handicapés ou les aidés, et les aidant, c’est l’inverse ! La fiction n’est pas un des moyens, un peu moins mensongers, de ruser. La ruse ne peut prendre place que dans un espace quasi théâtral. Goffman a beaucoup utilisé la métaphore du théâtre (…), mais ce n’est pas du tout : « la vie n’est qu’une espèce de jeu de théâtre et puis tout est illusion ». Ce n’est pas ça ! C’est que l’aide soignante, quand elle rentre chez quelqu’un, elle se gratte la gorge, elle vérifie comment elle est, elle prend du courage… Qu’est-ce qu’elle fait ? Exactement comme l’acteur qui va entrer en scène. Elle sait qu’il y a une scène à installer, qui est la scène de leur relation, qui prend du temps, qui doit s’installer activement. Ça passe par des sourires, des blagues, un ton, et même une distribution des caractères, un peu caricaturés… Tout ça c’est quoi ? C’est effectivement un jeu d’acteur… Tout le double sens de ces mots-là est incroyable… Une mise en scène mais pas au sens du cinéma, une mise-en-scène : on installe une scène commune. C’est en ça qu’elles sont devenues des expertes de ce savoir nouveau qui est celui de l’accompagnement des personnes. Elles sont des dramaturges de l’aide : il faut s’engager soi-même dans un rôle assez particulier pour installer une relation, et c’est dans cette relation, qui est très problématique, qu’il faut en effet réaliser pas à pas, par des petits moyens et gestes, que peuvent prendre place des ruses de manière acceptable. »

Et cela ne peut prendre place que dans un ensemble complexe de choses qui constituent ce qu’on appelle la confiance. « Donc en dernière analyse, ici la fiction c’est rigoureusement l’inverse de la façon dont on l’a présentée au début, comme un mensonge ou une tromperie. C’est tout sauf de la tromperie ! »

Etre d’accord pour se transformer soi-même dans l’aide :

« Et là ça devient passionnant parce que (…) ça nous donne l’expérience de cette espèce d’ouverture de possibles… On ne sait pas très bien ce qui se passe dans l’aide ! Il y a la version “bonne sœur” où forcément, elle est parfaite et elle essaie d’aider les gens etc… Non ! Pourquoi on aide ? Parce que l’aidante apprend énormément sur elle-même, elle vit à travers ces histoires ! Ça explique autrement bien je trouve cette expression du « deuil à faire », quand finalement [les personnes aidées] partent en placement ou qu’elles meurent, alors, hop ! on a les psychologues qui arrivent et qui disent : “oh bah alors oui, oh la la, le deuil, transfert, et donc faisons un groupe de paroles et parlons-en !” Mais non ! Elle est orpheline de sa fiction ! Effectivement, c’était “moi et elle, on avait une relation, pas d’amour, mais une relation tout court, d’affection, de lien etc. Unique, c’était avec elle (…). Et quand ça s’interrompt (…) c’est douloureux.” Pas la peine de psychologiser ! Et ces aides-là sont des aides qui inventent des nouveaux possibles. »

Dans le cadre des handicapés moteurs, le but est assez « simple » (comment parvenir à surmonter le handicap moteur), pour les Alzheimer aussi paradoxalement (on connaît l’évolution vers la mort inéluctable et du coup ça organise tout le récit précédant ce moment). Mais dans le cadre du suivi des troubles psychiques, c’est différent. Il y a des gens spécialisés pour cette aide. Et nous les sociologues, poursuit Antoine, avant l’enquête, parce qu’on n’avait pas d’épreuves pour le voir, on n’avait pas perçu la différence. Et cette différence, elle est énorme… aider des fous, les aides ne savent absolument pas le faire, le service non plus. De plus en plus, il existe des services pour éviter d’interner, essayant le plus possible de les laisser vivre chez eux. Et alors l’accompagnement n’a rien à voir… Antoine raconte le cas d’un homme suicidaire, complètement ingérant, odieux etc.:

« Qu’est-ce que c’est que d’aider quelqu’un comme ça ? C’est exactement la question qu’elles posent : je ne sais pas quel est le but, je ne sais pas ce qui arrive, mais ce simple geste d’accompagnement sans but ouvre un possible. Et ils le sentent très bien. Lui (le cas du Mr suicidaire), il est demandeur, mais il ne sait pas de quoi non plus. (…) Cette relation d’aide elle-même [dans toute son incertitude et avec toute la fiction qui est nécessaire pour l’instaurer] a ouvert un espace de vie possible pour ces personnes extrêmement fragiles. »


[^1]: Antoine Hennion, sociologue au CSI-Ecole des Mines, est le co-auteur d’un rapport intitulé Une ethnographie de la relation d’aide : de la ruse à la fiction, ou comment concilier protection et autonomie, 2012 (fichier pdf).


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