Dans les coulisses de notre enquête sur les savoirs invisibles

3 novembre 2014
A. Compain-Tissier pour Dingdingdong.

A. Compain-Tissier pour Dingdingdong.

Toute l’équipe de Dingdingdong est mobilisée avec passion depuis plus d’un an autour de cette recherche exploratoire et qualitative dont l’objectif principal est de dégager les savoir-être et les savoir-faire de celles/ceux qui vivent la maladie de Huntington (MH) au quotidien, ces savoirs que nous appelons « invisibles » car ils sont façonnés par chacun(e) modestement, dans les maisons, les foyers, les institutions, et qu’ils ne sont la plupart du temps pas reconnus comme tels.

Notre travail a commencé en juillet 2013. Après plusieurs mois consacrés à analyser les notions de savoirs expérientiels et d’apprentissage par les pairs, et à rencontrer les différents acteurs associatifs hors-Huntington qui ont le plus avancé dans ce domaine (diabétiques, hémophiles, schizophrènes etc.), nous avons rencontré des soignants spécialistes de la MH à travers la France, des usagers concernés d’une manière ou d’une autre par la MH, et nous avons par ailleurs rencontré la quasi totalité des acteurs associatifs œuvrant dans le champ de la MH en France.

Nos entretiens durent environ 2h et sont semi-directifs, c’est-à-dire qu’ils laissent une grande part à la discussion libre. Nous les retranscrivons ensuite pour les analyser soigneusement. Nous rencontrons chaque usager (malade, à-risque, famille…) deux fois. La deuxième rencontre permet de compléter ce qui a été dit, d’aller plus loin, de réfléchir ensemble à certaines idées qui émergent progressivement à force de brasser toutes ces paroles. C’est ainsi que nous coproduisons du savoir ensemble !


Membres de Ddd testant un fauteuil roulant poussé par un vélo, Apeldoorn, Pays-Bas.

Membres de Ddd testant un fauteuil roulant poussé par un vélo, Apeldoorn, Pays-Bas.

Nous plongeons parfois littéralement dans nos terrains – par exemple aux Pays Bas, à Apeldoorn à l’Atlant Institute où vivent ensemble une soixantaine de malades où nous avons séjourné pendant deux jours, ou encore à l’hôpital Marin de Hendaye où nous avons passé 24 heures merveilleuses d’observation et d’entretiens.


Changement du titre de notre étude en cours de route

Au fur et à mesure que nous avancions dans ce travail, il nous est apparu que notre titre initial (Comment apprendre à devenir huntingtonien ?) perturbait certains de nos interlocuteurs, qui se sentaient comme « enfermés » dans une étiquette. Soucieux de traduire au contraire la pluralité des expériences Huntington, ces critiques nous ont mis au travail et nous ont inspiré une nouvelle voie : comment les usagers de la MH peuvent-ils avoir accès au pouvoir de se composer une vie non pas de soumission mais de négociation avec ce qui leur arrive ?

Si la maladie de Huntington est un long et énigmatique parcours pour chacun, nous souhaitons, par ce travail, recueillir les expériences et les possibilités de peupler ces chemins. C’est ainsi que nous en sommes venus à changer notre titre initial en Composer avec la maladie de Huntington.

Prochaines étapes

Nous consacrerons l’été 2014 à terminer les entretiens avec les usagers et à analyser le corpus (plus de 2000 pages !) ainsi recueilli. Nous travaillerons ensuite à rédiger un rapport qui soit lisible pour tous et qui partage ces fameux savoir-faire et savoir-être que chacun développe, à sa manière, au contact de la MH. Nous y exposerons nos idées concernant la transmission de ces savoirs, en tâchant de réfléchir à la question qui taraude Dingdingdong depuis sa création : comment apprendre les uns des autres à vivre le mieux possible (avec) la MH ? Notre rapport sera rendu à nos commanditaires (Fondation de France) en janvier 2015.

Quelques principes dingdingdonguiens

Tout au long de se travail, nous avons établi certains principes qui guident notre approche.

• Faire feu de tout bois. Ne pas hiérarchiser les terrains. Qu’il s’agisse 1) des textes que nous lisons, qu’ils soient médicaux, de sciences humaines, les documents, les témoignages, les brochures, nos correspondances avec les acteurs ; 2) des paroles que nous recueillons, qu’elles émanent d’entretiens de recherche, de discussions informelles, de colloques, de films, etc. 3) des acteurs que nous sollicitons, personnes atteintes par la maladie, proches, soignants, administrateurs, scientifiques et chercheurs, associatifs, etc. Tout nous intéresse, car tout contribue à nourrir notre « problème », celui qui a rendu nécessaire d’ouvrir cette recherche : est-il possible d’apprendre des manières de vivre bien (avec) la maladie de Huntington. Il n’y a pas d’expert plus « expert » que d’autres : il n’y a que des participants que nous convions à travailler ce problème avec nous.

• Ne pas vouloir « faire science ». En résonance avec le point précédent, nous ne sommes pas plus ou moins experts que ceux avec lesquels nous discutons ! Même si parmi nous il y a des philosophes, sociologues, historiens, psychologues, notre cadre général de pensée ne relève pas de la sociologie ou de la psychologie, mais d’une démarche empiriste radicale, qui, si elle est sans doute avant tout l’héritière de la philosophie de William James, ne peut être réduite à une seule discipline. Lorsque nous travaillons à ce projet, nous ne sommes pas « que » des chercheurs, nous sommes impliqués, concernés, attachés d’une manière ou d’une autre à l’objet de nos terrains. Nous ne cherchons pas à rester neutres, à produire des preuves, à éviter à tout prix les biais méthodologiques. Par contre, nous nous engageons à rendre compte très rigoureusement de la façon dont nos attachements, nos hésitations, nos incertitudes, en symétrie à ceux de nos interlocuteurs, peuvent contribuer à coproduire de la connaissance avec ces derniers.

• Inviter nos interlocuteurs à penser avec nous. Pour servir le projet fondamental qui est le nôtre, la coproduction de savoirs, il s’agit alors, en guise de fil conducteur méthodologique, d’instaurer les conditions qui permettent à nos interlocuteurs de méditer avec nous autant les leçons contenues dans leurs expériences, que la pertinence de nos manières de comprendre et de rendre compte de ces leçons.

• Des savoir-faire plutôt que des savoirs tout court. Nous ne cherchons pas tant à dégager des savoirs « sur » la maladie de Huntington ou les malades, que de dégager des prises pragmatiques qui permettent d’apprendre avec nos interlocuteurs, depuis la complexité des expériences de ces derniers, des manières vivifiantes d’appréhender la maladie.

Une recherche-action soutenue par la Fondation de France et la Mairie de Paris. Dingdingdong est par ailleurs soutenu par la Fondation Unitiatives.


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