Des mutants fiers de l’être

Par Alice Rivières26 décembre 2012

Je regarde Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol (1997), un réalisateur intéressant Ddd puisqu’il a aussi écrit le scénario de The Truman Show et qu’il vient de finir la réalisation de Les âmes vagabondes, un film relatant une histoire d’amour entre un humain et une alien, sur une Terre envahie par les extraterrestres. Il a aussi réalisé S1m0ne en 2002, étonnante comédie où le personnage d’Al Pacino, producteur de cinéma en difficulté, invente de toute pièce une actrice numérique (que tout le monde croit réelle) dont la carrière lui échappe : à voir rapidement pour documenter le service des secrets de Ddd !

Bienvenue à Gattaca, le pitch : Dans un monde placé à « quelques années de nous, mais pas si éloigné », Gattaca est un centre d’études et de recherches spatiales pour des jeunes gens au patrimoine génétique impeccable. Jérôme, candidat idéal, voit sa vie détruite par un accident tandis que Vincent, enfant naturel au génome plein de faiblesses, rêve de partir pour l’espace. Chacun des deux va permettre à l’autre d’obtenir ce qu’il souhaite en déjouant les lois de Gattaca.

En exergue du film, le menaçant verset 7:13 de L’Ecclésiaste :

« Regarde l’œuvre de Dieu, Qui pourra redresser ce qu’Il a courbé ? »

Soit dit en passant, je trouve ce verset étrange parce qu’il marche aussi dans l’autre sens : « qui pourra courber ce qu’Il a redressé ? » Et puis juste après : « Non seulement nous manipulons la nature, mais elle nous pousse à le faire. », Willard Gaylin (psychiatre américain que je ne connais pas).

Vincent (joué par Ethan Hawks), en voix off : « Quelques secondes seulement après ma naissance, le moment exact et la cause de ma mort étaient déjà connues. » Une infirmière, après avoir analysé le génome dans une gouttelette de sang de Vincent qui n’est alors qu’un petit nouveau né, égrène froidement les prédictions concernant son devenir devant sa mère qui est encore dans sa position d’accouchement : « affection neurologique, 60 % de probabilité ; psychose maniaco-dépressive, 40% de probabilité ; hyperactivité, 89% de probabilité ; troubles cardiaques (et là elle hésite, visiblement embêtée par ce qu’elle s’apprête à lire) : 89% de probabilité… Risque de mort prématurée. Espérance de vie : 30 ans et deux mois. »

Le père, accablé, préfère alors qu’on ne donne pas à son bébé son propre prénom, Anton, mais Vincent. Sa mère le prend dans ses bras, lui sourit : je sais que tu feras quelque chose. Toujours en voix off, Vincent continue de raconter qu’il s’est considéré toute son enfance comme les autres le considéraient : comme un malade chronique – que les assurances scolaires ne voulaient d’ailleurs même pas couvrir. Les parents décident qu’ils auront leur deuxième enfant en utilisant la voie « naturelle », autrement dit la fécondation assistée génétiquement, avec des techniques de sélection qui permettent un rendu « parfait ». Leur médecin-généticien leur énonce la liste de tout ce qu’ils ont écarté par sélection génétique : tendance à l’alcoolisme, myopie, calvitie etc. Les parents ont encore quelques scrupules et protestent timidement : « nous ne voulons pas qu’il ait de maladies, certes, mais nous voulions laisser quelques petites choses au hasard… » « Faites moi confiance, leur rétorque le médecin, il existe suffisamment d’imperfection… cet enfant est toujours vous, simplement il est le meilleur de vous ! ». Vincent grandit devant ce petit frère parfait, auquel son père a donné cette fois, avec fierté, son propre nom : Anton.

Au grand dam de ses parents, Vincent devenu adolescent persiste dans son rêve de devenir astronaute. Son père lui dit qu’il a 99% de probabilité d’échouer et d’avoir sa crise cardiaque avant d’y arriver. Mais au nom de son 1% de chance réussir, Vincent veut tenter le pari : il part de chez lui, sans dire un mot, après avoir déchiré sa silhouette de la photo familiale.

Néologisme utile proposé par ce film : la discrimination faite à partir de critères génétiques s’appelle le génoisme (« faire de la discrimination une science »). Du fait de ces critères, Vincent est un temps cantonné à exercer le métier d’agent d’entretien. Il travaille dans la plus grosse entreprise d’aéronautique du pays, Gattaca, de plus en plus fasciné par la carrière d’astronaute. (Un autre terme intéressant : celui de « validé/non validé » selon qu’on possède un génome convenable ou présentant des imperfections comme celui de Vincent qui est par conséquent catalogué comme non validé.)

Vincent fait appel à un homme, dont la profession secrète est hautement illégale, pour échanger son identité contre celle d’un autre qui possède un génome « validé », et donc compatible avec ses ambitions. « Pour les êtres génétiquement supérieurs, le succès est plus facile à atteindre, mais il n’est pas du tout garanti. Après tout, il n’y a pas de gène pour le destin », remarque Vincent. Il fait affaire avec Jérôme, jeune homme au gène quasi parfait mais qui a eu un accident et qui est paralysé depuis (joué par Jude Law), bousillant d’un coup toutes les promesses de son beau génome. (On apprend plus tard dans le film que ce n’était pas un accident mais une tentative de suicide : Jérôme s’est jeté devant la voiture qui l’a renversé).

Il y a une chose que Vincent a et que Jérôme n’a pas : le désir. Alors il décide de devenir un « pirate génétique » ou un « dé-gène-éré » – ainsi que l’on appelle dans le monde futuriste du film ceux qui ne veulent pas jouer les cartes qui leur ont été distribuées au départ.

Dans Xmen 3, que j’ai vu il y a quelques années, les choses de la génétique sont explorées dans un tout autre esprit… le monde se partage entre humains normaux et mutants génétiques qui souffrent – l’expression du film est très belle – d’« un dévoiement des cellules normales ». Les mutants ne sont ni plus ni moins méchants que les normaux mais ils possèdent tous un petit défaut dans leur patrimoine génétique qui leur octroie à chacun une puissance singulière – un tel peut devenir invisible, tel autre passer à travers les murs, tel autre voler avec des ailes qui lui poussent dans le dos etc. Le gouvernement décide de mettre en place un grand programme de vaccination (eh oui !) visant à administrer aux mutants l’antidote qui leur permettra de devenir normaux. Contre toute attente, les mutants s’insurgent : ils ne sont pas anormaux, ils sont qui ils sont et ils tiennent à leur identité de mutants.

NB : l’antidote/vaccin était générée par le patrimoine génétique d’un petit garçon mutant lui-même, dont le pouvoir était précisément de contenir cet antidote « normalisante »… si c’est pas de la métaphysique, ça ? À la fin de l’histoire, le labo fabriquant l’antidote est détruit par les mutants. Le dernier plan montre une mutante « vaccinée », devenue normale, qui s’apprête à avoir des relations sexuelles avec un mutant – j’y ai pour ma part vu la promesse d’un 4ème volet de Xmen consacré cette fois aux métisses normalo-mutants. J’ai hâte de voir ça.


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