Histoire comparée de la maladie et de son test
Département animé par Katrin Solhdju
« Un problème n’existe pas en dehors de ses solutions. Mais loin de disparaître, il insiste et persiste dans ces solutions qui le recouvrent. Un problème se détermine en même temps qu’il est résolu ; mais sa détermination ne se confond pas avec sa solution, les deux éléments diffèrent en nature, et la détermination est comme la genèse de la solution concomitante. » Gilles Deleuze.
Ce département est fondé sur l’espoir qu’un travail historique et ethnographique sur le test présymptomatique et ce qu’il porte en lui, peut aider à alimenter l’imagination des personnes impliquées et affectées par cette procédure ambivalente – médecins, personnes à risque, malades, etc.
Histoires de la maladie
Il n’y a pas une histoire de la maladie de Huntington mais une panoplie d’histoires entremêlées que l’on recherchera, collectionnera, racontera et démêlera au fur et à mesure. Ces histoires personnelles, familiales, médicales, nationales et culturelles vont nous aider à comprendre comment nous sommes arrivés à l’image que l’on répand désormais de la maladie de Huntington comme étant « la pire », la « plus monstrueuse », etc. des maladies. À partir d’une meilleure compréhension des éléments constitutifs d’une telle image, nous pourrons commencer à construire collectivement d’autres manières d’hériter des histoires huntingtoniennes.
Si, par exemple, on a longtemps parlé de la maladie de Huntington comme d’une danse, une chorée, et si dans la langue vulgaire on l’a même identifiée à la danse de St. Guy, ces dénominations on été abandonnées officiellement parce qu’elles étaient estimées comme insultantes (et par ailleurs non exactes puisque les mouvements « gigoteurs » sont loin d’être les seuls, ni même les principaux, symptômes de toutes les maladies de Huntington).
Et si, oui, si on reprenait les histoires des liens possibles entre les possédés qui dansaient un peu partout en Europe au moyen âge et la maladie, et si on considérait que la possession n’est pas qu’un empêchement, une punition, une malédiction, mais qu’elle peut aussi bien être vue comme une manière d’être élu, d’être en possession de quelque chose d’exceptionnel, ou encore d’avoir des possibilités que d’autres n’ont pas… ?
Comment réussir à bien raconter de telles histoires et qu’est-ce qu’une telle histoire et une multiplicité d’autres histoires pourraient nous aider à fabriquer qui ne seraient ni sombre, ni naïvement positif, mais pragmatiquement constructif ?
(Bien évidemment, pour travailler à ces questions, une collaboration intense avec les départements Philosophie pragmatique et Narration spéculative est absolument indispensable.)
Histoires du Test
Il n’y a pas une histoire du test de la maladie de Huntington mais il y en a au moins trois.
En 1983, des chercheurs américains ont découvert sur quel chromosome se trouve le gène anormal qui est responsable de la maladie de Huntington. Suite à l’existence de ce nouveau savoir, il était devenu possible de pratiquer un test présymptomatique sur des personnes à risque en comparant leurs chromosomes avec ceux de leurs parents. Cette version du test génétique n’a pas été admise dans tous les pays parce que ces résultats n’étaient pas à 100% fiables. Du coup, un certain nombre de Français à-risque sont allés passer ce test (interdit en France) en Belgique où il était pratiqué.
Depuis 1993, un autre test est devenu possible grâce à – ou à cause de – la découverte de la localisation exacte du gène sur le chromosome. Ce test est plus fiable que le premier et peut être effectué à partir d’une simple prise de sang de la personne qui souhaite connaître son statut génétique. Le comptage de la répétition de trois acides nucléiques, les CAG, dont le nombre est anormalement augmenté chez les porteurs du gène de la MH révèle ce statut. Toute version du test pose une multiplicité de questions éthiques, psychologiques, générationnelles, économiques et politiques.
Comment transformer ces questionnements en problèmes, c’est-à-dire comment passer d’une situation qui nous laisse passivement perplexes à la construction active de problèmes ? Comment peupler l’imagination par des idées qui permettent une telle mobilisation ? Le test est une sorte d’oracle contemporain sauvage. Comment cultiver cet oracle sauvage, c’est à dire comment le maîtriser pour mieux contrôler ses dangers ? Comment réussir à produire un cheminement qui donne réellement accès à toutes les richesses que contient cette prophétie ? Comment inventer des propositions qui pourront être associées à l’énonciation d’un résultat diagnostique présymptomatique pour faire de cet acte un geste poli, c’est à dire non réducteur vis-à-vis de la personne qui en fait l’objet autant que du médecin qui le fait passer ?
Notre département pose aussi les questions suivantes :
Quelles sont les relations entre les « guidelines » diffusées au sujet du test et sa pratique réelle dans différents endroits ?
En quoi consiste un « bon » counseling (une pratique définie en 2010 par l’American Counseling Association de la manière suivante : “Counseling is a professional relationship that empowers diverse individuals, families and groups to accomplish mental health, wellness, education and career goals.”) ?
Quelles conséquences pour la médecine lorsqu’elle se trouve devant des maladies qu’elle peut identifier, et même anticiper, mais pas soigner ?
Katrin Solhdju est historienne des sciences et enseignante à l’Université de Berlin et à l’Ecole de Recherche Graphique de Bruxelles. Elle s’intéresse aux pratiques d’expérimentation dans le champ de la médecine et de la biologie et aux questions bioéthiques qu’elles soulèvent. Elle a notamment publié « L’expérience pure et l’âme des plantes », Vie et expérimentation – Peirce, James, Dewey, Didier Debaise (coord. scientifique), Vrin, 2007.
Ses réflexions autour du test génétique de la MH ont fait l’objet d’une publication aux Editions Dingdingdong en septembre 2015 : L’épreuve du savoir – Propositions pour une écologie du diagnostic.