Huntington face aux assurances
Caroline a interpelé l’ensemble de la communauté Huntington en septembre dernier avec un texte qui nous a bouleversés. Nous le reproduisons ici avec son accord. Nous avons, avec le Comité Inter Associatif Huntington, fait mousse autour de cette histoire, et Médiapart en a tiré un très bon article, article_Mediapart 2019. L’histoire se termine bien, et fait jurisprudence pour toute la communauté. Merci au courage de Caroline et de Guillaume qui ont changé les lignes.
On peut lire le Jugement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre ici : Jugement TGI NANTERRE 25.10.2019.
11 septembre 2019.
Les assurances face aux maladies génétiques
« Saviez-vous qu’un diagnostic génétique peut vous mettre au ban de la société, une légère modification chromosomique et vous n’êtes plus un individu dont les droits sont respectés ?
Saviez-vous que cette éventuelle maltraitance des temps modernes existe, est identifiée et protégée par la loi mais continue impunément, au profit de quelques compagnies d’assurance ?
Il existe aujourd’hui une double peine qui touche des familles meurtries par la disparition d’un de leur proche et la non prise en compte de ces droits fondamentaux, c’est-à-dire de bénéficier des assurances souscrites et payées.
Ces familles se retrouvent dès lors dans l’urgence de subvenir aux besoins de la famille, de faire leur deuil d’un départ bien trop rapide dans des circonstances et un vécu inacceptables et injustes.
Je ne pensais pas que notre société pouvait laisser faire ces attitudes. Je ne pensais pas que des compagnies pouvaient réaliser un calcul financier sur le dos de leurs souscripteurs pour étouffer leurs droits. Je ne pensais pas que l’on pouvait contourner la loi si impunément. Mais notre parcours m’amène à conclure à l’hypocrisie d’un système calibré pour des gens « normaux », sans souci de santé, ni fil à la patte génétique et la manipulation des faits d’une compagnie d’assurance, alors même que la médecine et la science progressent pour dépister et améliorer les conditions de vie des hommes et des femmes.
Poussons un peu la contradiction ubuesque : connaitre ses risques médicaux reviendrait donc à signer son arrêt de mort en termes de prévoyance et d’assurance pour ses ayants droits ?
Aussi voici l’histoire de notre famille. Guillaume, mon mari, et moi avons eu un parcours difficile lié à l’existence d’une maladie génétique dans sa famille. Une maladie neurologique génétique orpheline et héréditaire terrible, provoquant un dégénérescence physique et psychologique irrémédiables, la maladie de Huntington.
Nous nous aimions, voulions fonder une famille, sans transmettre ce patrimoine génétique douloureux. Guillaume ne savait s’il était porteur à cette époque. Son père l’était. Guillaume a fait un dépistage long et traumatisant. Il était porteur. Je devais donc à mon tour dépister le fœtus in utéro à 12 semaines et arrêter les grossesses si le diagnostic était positif. 50% de chance de transmission.
Fonder une famille relève du parcours du combattant, lorsque l’un des parents est porteur. Main dans la main nous avons tenu et après de nombreux dépistages et interruptions médicales de grossesse, nos 3 enfants sont nés, avec un patrimoine génétique vierge de Huntington.
Sept ans après la naissance de notre dernier fils, Guillaume a décidé seul de ne pas nous infliger la dégradation liée à la maladie. Celle-ci n’avait pas commencé à apparaitre mais son spectre planait et il se refusait à l’idée de nous l’imposer. Et nous laisser le meilleur, pour que la vie continue à être une fête comme il le disait.
Peu d’hommes auraient été capables d’une telle chose, d’une telle conviction et force d’amour pour leur famille. Cette maladie génère une transformation radicale de la personne et demande des soins qui peuvent épuiser les familles. Guillaume ne le voulait pas, je l’entends, je le respecte. Mais la douleur est omniprésente. Et l’injustice s’en mêle.
Aujourd’hui une compagnie d’assurance décide de nous infliger une double sanction, celle de refuser d’octroyer la prime d’assurance prévoyance contractée par Guillaume. Ils opposent à ce règlement que Guillaume aurait omis de déclarer qu’il était malade. Il ne l’était pas. Le professeur spécialiste de la maladie l’atteste par écrit. Aujourd’hui mon salaire d’enseignante en élémentaire tente de faire vivre ma famille, de poursuivre ce que nous avions bâti.
Le législateur est intervenu pour interdire aux assureurs de solliciter des tests génétiques ou tenir compte des résultats de tels tests. Il a interdit la sélection des risques car elle reviendrait à une discrimination génétique. Mais les compagnies contournent la difficulté par tous les moyens en détournant le texte de son sens, en invoquant que l’information aurait été portée à leur connaissance par un autre biais d’un compte-rendu de test génétique, qu’il existait un suivi médical qui devait alors être déclaré (ce qui revient à déclarer la raison de ce suivi qui n’est autre que le résultat du test génétique), ou que le caractère inéluctable de la maladie reviendrait à priver le contrat de tout aléa. En réalité, les assureurs font mine de se plier à l’interdiction de présélection des risques en acceptant les adhésions et les primes qui vont avec, mais font après coup tout leur possible pour ne pas régler le sinistre dans un moment où la famille est démunie et prête à renoncer. Ils érigent en mensonge de la part de l’adhérent le fait qu’il n’ait pas communiqué une information (ou les suites logiques d’une information) que non seulement il n’avait pas à déclarer, mais que de surcroît les assureurs ne doivent pas prendre en compte quand bien même elle aurait été déclarée. Les assureurs démontrent donc que s’ils font mine de ne pas faire de présélection des risques, ils font une sélection après coup de ceux qu’ils estiment indemnisables. Et Aviva fait partie de ceux qui n’acceptent pas d’indemniser les personnes qui savent qu’elles développeront un jour la maladie de Huntington.
Comment ne pas s’insurger ? Comment laisser une société d’assurance dévaloriser ce que Guillaume a enduré, ce pourquoi nous nous sommes battus et se faire traiter de menteurs ?
Comment des compagnies peuvent-elles jouer avec la douleur des gens, qui n’ont ni les ressources financières, ni psychologiques pour se battre après la perte d’un très proche ? Une société « évoluée et intelligente » peut-elle laisser passer de telles injustices ?
Les personnes séropositives, remises après un cancer, porteuses de risques non avérés sont toutes concernées par ces pratiques. Car au-delà du combat de notre famille et des personnes porteuses de Huntington, se dessinent des enjeux plus globaux, sociétaux. Nous sommes tous porteurs d’un capital génétique, nous en connaissons de mieux en mieux les spécificités.
Les compagnies pourraient demander demain votre carte génétique et limiter l’accès aux assurances dont nous avons tous besoin. Et pourtant la loi stipule explicitement dans les textes qu’elles n’ont pas le droit de le faire. La jurisprudence est maigre, voire inexistante sur le sujet….
Aujourd’hui je vous communique notre histoire pour qu’elle ne soit pas une simple dénonciation pleine d’amertume. Je le fais par conviction intime que nous pouvons faire reconnaitre nos droits, qu’une telle discrimination n’a pas sa place dans notre société des Droits de l’homme et qu’il faut faire entendre nos voix, celles des associations pour la maladie de Huntington et les autres, celles des familles muselées par la souffrance et la longueur du combat. David peut faire entendre sa voix contre Goliath et rendre un hommage posthume à ceux qui ont mené un long combat. » Caroline, septembre 2019.