Transneuro

24 avril 2016

Transneuro – pour : « à travers nos maladies neuro-évolutives » – est un espace dédié aux échanges entre des usagers de pathologies diverses qui puisent un intérêt à faire mousser, selon l’expression dingdingdingonguienne, leurs expériences en les frottant les unes aux autres.

La nécessité de créer un espace pour de tels échanges est né lors des journées de l’Université d’été organisées par l’Espace Ethique Ile-de-France sur les maladies neurodégénératives (Pr Emmanuel Hirsch) en septembre 2015, suite aux rencontres entre plusieurs usagers de maladies neuro-évolutives diverses telles qu’Alzheimer, Parkinson, l’Ataxie de Friedreich, maladie de Huntington et sclérose en plaque.

Il ne s’agit pas tant de comparer nos expériences que de les faire résonner et surtout de dégager de ces rencontres des manières de mettre les malades au cœur du propos qui est tenu sur leur maladie. Cela peut paraître une évidence mais ce n’est pas le cas : aujourd’hui la parole des malades eux-mêmes reste minoritaire voire inaudible, dans le cas de maladies où il faut changer ses paramètres « normaux » de communication pour écouter ce qui souhaite être exprimé.

Il s’agira ici de partager des interventions, qui donneront lieu à des échanges et des rebonds, dont nous ne pouvons savoir à l’avance ce qu’ils vont nous raconter et nous apprendre. Co-animés par Ddd et les auteurs de ces textes, ces échanges ont pour vocation de susciter chez ceux qui vivent des expériences semblables de participer à leur tour à cette initiative.

Du côté d’Alzheimer, Philippe et Mina Blanchard

« Je demande à pouvoir vivre debout » texte lu par Philippe Blanchard à l’Université d’été de l’Espace Ethique Ile-de-France, Nantes, le 15 septembre 2015 :

Un des problèmes de la maladie d’Alzheimer, parmi bien d’autres, c’est le changement de regard que les gens portent sur nous mais aussi celui que je porte sur moi-même.

En 2013, les difficultés étaient déjà présentes depuis plus d’un an. J’avais du mal à trouver mes mots et de plus en plus de problèmes pour m’organiser mais je mettais tout ça sur le compte du surmenage. J’étais un homme respecté dans son métier. Médecin, je menais à bien des études importantes et je me sentais bien dans ma vie.

Après l’annonce du diagnostic c’est différent.

Dans le regard des autres : si je vais bien, on pense que je suis dans le déni de la maladie parce que j’aurais des atteintes frontales, si j’ai le blues on dit que je suis dépressif à cause de la maladie et on veut me prescrire des anti-dépresseurs.

Si on ne comprend pas une de mes plaisanterie on demande à ma femme s’il m’arrive de délirer. On s’adresse à elle plutôt qu’à moi, on doute de ce que je dis…

Dans mon propre regard : je perds confiance, je doute de moi, parfois je me sens nul.

Je suis la même personne. Pourtant, c’est comme si avant le diagnostic tout est normal, avec de petits dysfonctionnements auxquels on ne porte pas tellement attention, et du jour au lendemain c’est l’inverse tout devient a-normal.

Je veux croire que mon avenir ne sera pas que sombre, je veux continuer à parler même si j’ai du mal à trouver mes mots, je veux garder tout son sens à ma vie.

Je demande à pouvoir vivre debout, à ne pas être considéré comme un dément. Je ne suis pas dément, privé de raison.

J’ai juste une maladie qui brouille les pistes, me rend le langage difficile, la compréhension plus lente, je ne sais plus faire une addition écrite mais est-ce que ça me rend moins humain ?

Comme tout être humain, je mesure ma valeur à l’aune du regard de ceux qui m’entourent.

Alors je dis merci à tous ceux qui n’ont pas peur de moi, qui n’ont pas peur des blancs dans la conversation ou de me mettre mal à l’aise. Ceux avec lesquels je peux continuer à plaisanter sans qu’ils s’inquiètent pour ma santé mentale. Tous ceux qui me parlent avec naturel en tenant compte de ma différence et non en ne voyant qu’elle. Je suis toujours le même, j’ai juste plus de difficultés avec une partie de mon cerveau mais j’éprouve toujours des sentiments et j’ai envie de vivre et d’être heureux, et pour cela j’ai besoin de continuer à être en relation et avoir des regards positifs sur moi. Pas pour mes prouesses intellectuelles mais pour ce que je suis. Une personne avec un caractère agréable ; je suis patient, je suis à l’écoute des autres, on dit souvent de moi que je suis quelqu’un de gentil. C’est surtout pour ces qualités que mes patients m’aimaient, ce sont celles que mes proches apprécient, ces qualités je les ai encore en moi et bien d’autres qui ne dépendent pas de l’intellect.

Tous les matins je conduis mon fils à l’école ; je ne l’ai presque jamais fait pour mes aînés car je travaillais trop. Je n’idéalise pas la maladie, mais je ne la diabolise pas non plus. Je dois faire avec ; je n’ai pas le choix et mes proches non plus. Et bien souvent il nous arrive d’être heureux…

« Dans chaque jour plus de vie que d’amertume », texte lu par Mina Blanchard, Université d’été de l’Espace Ethique Ile-de-France, Nantes, le 15 septembre 2015 :

J’ai besoin d’aide.

J’arrive à l’avouer maintenant, je sais que je n’y arriverai pas toute seule.

J’ai bien souvent conseillé des familles touchées par la maladie alors je pensais que je saurai faire, et puis non, je n’y arrive pas toute seule.

Mais ce que je ne veux pas c’est que l’on disqualifie Philippe sous prétexte de m’aider à me déculpabiliser. Que l’on me dise à quel point il va devenir insupportable de vivre avec lui et donc qu’il sera normal que moi, sa femme, j’accepte qu’on le mette dans un établissement sans doute contre son gré où il sera privé de sa liberté.

Je comprends tout le bien fondé de cette approche, il est vrai que nous les familles nous avons fort à faire avec la culpabilité mais je ressens comme insupportable les tentatives qui sont faites pour m’aider car elles vont trop souvent à l’encontre de la dignité de Philippe. Dans la manière dont on me parle de lui et de sa maladie, quand on me dit qu’il est atteint de démence et qu’il faut que je m’y fasse. Si je dis qu’on est encore heureux, on pense que je ne veux pas voir la réalité des choses. Ce bonheur ne signifie pas que tout est simple, loin de là mais nous voulons mettre dans chaque jour plus de vie que d’amertume. Nous nous battons, souvent seuls, pour continuer à tenir debout et que notre vie ressemble à quelque chose.

Alors oui, j’ai besoin d’aide mais d’une aide qui aille dans le sens de continuer à voir Philippe comme une personne digne et non l’inverse.

Résonances

Nous [Philippe, Mina, Alice] avons parlé lors de la même table ronde, présidée par Jean-Pierre Wagner qui a merveilleusement parlé de son Parkinson. Aussitôt le sentiment rare et puissant, comme un éclat, d’une connivence entre nous. Une connivence improbable car nos maladies sont très différentes et sont toujours soigneusement cloisonnées et tenues à l’écart les unes des autres. Sentiment instantané qu’il existe une fraternité possible entre nous, une solidarité trans-patho ultra précieuse et nécessaire. Mina s’exclame, à la fin : il faudrait plus d’échanges comme celui-ci, il faudrait rendre poreuses les frontières qui nous séparent, il faudrait par exemple organiser un café régulier pour réunir des gens comme nous : nous avons tant de choses à nous dire. À mon retour à Paris, je [Alice] leur envoie le Manifeste de Dingdingdong.

Mina et Philippe à Alice Rivières (Huntington/Dingdingdong), 28 septembre 2015, extrait de mail :

« J’ai lu le manifeste [de Dingdingdong] et les mots me manque pour dire à quel point il a résonné juste en moi, en nous.

Philippe a du mal à lire un texte long et soutenu mais nous avons longuement parlé et il partage ce que je vais te dire.

Pour nous, c’est comme si avec l’annonce du diagnostic tout se rétrécissait, se ratatinait. Le champ infini des possibles n’existe plus. Ça n’est pas un effet de la maladie elle-même, non c’est l’effet de ce qui est projeté sur elle. D’ailleurs nous avons eu un diagnostic en deux temps ou plutôt la chance de recevoir deux fois le verdict. Une première fois à Chambéry début 2013, puis à Bordeaux la neurologue nous a dit que ça ne collait pas que c’était peut-être une encéphalite lymbique (maladie qui se soigne), les symptômes étaient toujours là mais nous ne les avons plus du tout vécus de la même manière. Nous avions de nouveau un avenir. Ce qui est horrible c’est qu’on nous prive de ça, no future ! Et quand nous essayons de dire que nous voulons vivre et être heureux on nous regarde avec compassion comme si nous étions de pauvres fous ou des idiots qui ne comprennent pas ce qui les attend.

J’aimerais vraiment faire passer ce message et un autre aussi qui est d’accepter l’autre tel qu’il est, arrêter de juger, d’enfermer dans des cases de conforme ou non conforme. Certains de mes amis me disent que je perds mon temps, qu’on ne change pas les autres mais c’est faux. Si personnes ne s’était élevé contre le racisme on trouverait encore ça normal, cette bataille n’est pas totalement gagnée mais que de progrès.

Je pense qu’il faudrait que chacun prenne conscience que ça n’est pas le combat de personnes malades mais un combat d’humains pour tous. Car une société où l’on jugerait l’autre moins qu’on ne l’écoute serait profitable à tous.

A très bientôt, j’ai hâte de te lire.

Je t’embrasse

Mina »

C’est juste après ces échanges que nous avons décidé d’ouvrir ce nouveau département au sein de Dingdingdong.

Suite des résonances transneuros (posté par Alice Rivières)

Lors d’une grande réunion fin mars 2016 de « l’équipe du cerveau » comme j’aime appeler Brain Team, cette immense filière regroupant les maladies rares neurologiques (en gros), rencontre merveilleuse avec la représentante des Tourettes, Sarah, et la représentante des DFT ou Dégénérescences Lobaires Fronto Temporales, Dominique. Sans oublier Strümpell-Lorrain, l’atrophie multi-systématisée, le Moya-Moya, le syndrome cérébelleux, l’Ataxie de Friedreich, et j’en oublie certainement. Connivence spontanée autour de certains ressentis, nos fatigues paranormales par exemple. Sur la nécessité de changer les mots, notamment celui de « démence », qui épingle et fige ce qui est au contraire si subtil et plein d’hétérogénéité. Dominique m’a dit que l’association DFT, ex-Démence Fronto Temporales, œuvre entre autres pour changer le mot de « démence » du fait de la charge négative et effrayante de ce mot dans le langage courant. Or il est très difficile de faire évoluer la nomenclature médicale, c’est quasi mission-impossible, et ce quasi-là est justement investi avec détermination et ambition par l’équipe de Dominique. Ce qui nous a fait rigoler toutes les deux, c’est qu’à la place du mot « démence », leur association souhaite voir figurer le mot « dégénérescence », leur pathologie serait rebaptisée Dégénérescences Lobaires Fronto-temporales voire Dégénérescences neuronales. Or pour nous, les Huntington, et pas seulement pour nous mais aussi pour un grand nombre de maladies dite dégénératives telle que Alzheimer, Parkinson, sclérose en plaque, etc., le mot « dégénératif » ne va pas du tout. Nous répugnons de plus en plus à dire : Huntington, maladie dégénérative, car ce genre de maladies n’entraîne pas qu’une flèche vers le bas, elle évolue en circonvolutions, en boucles de vie, avec parfois d’extraordinaires paliers d’accalmie voire des améliorations, bref, un paysage tout de creux et de monts qui ne ressemble pas à une simple pente descendante, mais plutôt à une chaîne de montagnes. D’où l’idée, qui émerge maintenant depuis quelques années, de changer le nom de notre famille en maladie neuro-évolutive. Ou alors être exhaustif : s’il s’agit de caractériser les choses strictement en termes de pertes de capacités, classer la vie elle-même dans les maladies dégénératives.

À suivre. Cela va être nécessairement ainsi au début, brouillon et frémissant, super elliptique. On va voir si ça va prendre…

Sans oublier les Entendeurs de voix qui, même s’ils ne sont pas strictement « neuro », ont tant de choses à nous apprendre.


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