« S’écrire, c’est pratiquer une forme de sorcellerie »
Pour Ddd, il y a beaucoup d’enseignements à puiser dans le livre de Chloé Delaume, La Règle du je (PUF/Raison pratique, Paris, 2010).
Elle y développe avec beaucoup de rigueur sa théorie, puissamment incarnée/engagée, d’une autofiction expérimentale – qui n’existe que parce qu’elle est indispensable, vitale, pour son auteur.
« User de la fiction pour construire, reconstruire, le passé le présent signifie rester maître de son propre destin. Contrer Parques et fatum, se redresser par le biais des techniques narratives. Ne jamais filer doux, tisser son quotidien. Dire non, rester debout. Se réapproprier sa propre narration existentielle, utiliser la langue pour parer aux attaques rampantes et permanentes issues du Biopouvoir. Position verticale, riposte politique. » in « S’écrire mode d’emploi », Colloque de Cerisy sur l’autofiction, 25 juillet 2008.
Nos histoires respectives font que nous choisissons chacune une manière distincte de nous autofictionner : elle, suicider son Je et créer un nouveau moi, un pseudonyme auteur qui écrit Je ; et moi, faire naître un personnage pour lui faire fictionner/fabuler mon moi. Dans les deux cas, stratégies de leurre, de protection, de sorcellerie. Le fait que nos objectifs ne soient pas tout à fait les mêmes se comprend vu les différences de nos histoires. Chloé doit (re)constituer un moi nouveau après que l’ancien a été pulvérisé quand elle avait 10 ans. Moi, je dois créer un personnage de fiction qui puisse lutter forces contre forces contre la puissance démesurée de la fiction médicale. Ce personnage, c’est mon laboratoire, mon dispositif de recherche. M’exposer moi-même cela aurait été se passer du merveilleux champ de possibles qu’abrite la technique du leurre.
Je me souviens du moment où j’ai choisi de faire ainsi, je me souviens de la sensation inouïe de liberté qui l’a accompagnée. Mon espace d’action s’ouvrait soudain à perte de vue. Pouvoir jouer/vivre, avec le vrai problème, et trouver toute l’intelligence supplémentaire qu’il peut y avoir dans tous ces aller-retours.
Accepter de tâtonner chemin faisant, de ne pas savoir à l’avance puisqu’écrire va me montrer. C’est le trajet qui est la véritable thérapeutique, pas la destination.
« S’écrire, dit Chloé Delaume, c’est pratiquer une forme de sorcellerie ».
Comme elle a raison. Bon vent, chère Chloé.