Sur les chorées (Chorée de Sydenham, Danse de Saint Guy, Maladie de Huntington)

Par Alice Rivières10 décembre 2012

Je suis fatiguée, aujourd’hui, alors je n’ai envie que de picorer dans les textes. Mes livres sont arrivés hier ! Une toute petite centaine, tout en vrac, quasiment que des fétiches. Je tire Michelet en premier, La sorcière.

La danse de Saint Guy racontée par Michelet

La danse de Saint Guy, observée au XIVème siècle, telle qu’elle est racontée par Michelet nous concerne d’autant plus qu’il s’intéresse autant à ses manifestations qu’aux moyens employés pour y remédier. Si la maladie de Huntington (héréditaire, touchant les adultes, et incurable) n’a rien à voir avec la danse de Saint-Guy ou Chorée de Sydenham (infectieuse, infantile et qui se soigne par la pénicilline), il n’empêche que le passé a attaché les deux maladies l’une à l’autre (jusqu’à ce que George Huntington les sépare officiellement le 15 février 1872 !). Aujourd’hui il n’est pas rare que l’on continue de les confondre.

« [Au quatorzième siècle, le] premier danger n’était pas le moins grand. Il éclata, vers 1350, d’une effrayante manière par la danse de Saint-Guy, avec cette singularité qu’elle n’était pas individuelle ; les malades, comme emportés d’un même courant galvanique, se saisissaient par la main, formaient des chaînes immenses, tournaient, tournaient, à mourir. Les regardants riaient d’abord, puis, par contagion, se laissaient aller, tombaient dans le grand courant, augmentaient le terrible cœur. Que serait-il arrivé si le mal eût persisté, comme fit longtemps la lèpre dans sa décadence même ? C’était comme un premier pas, un acheminement vers l’épilepsie. Si cette génération de malades n’eût été guérie, elle en eût produit une autre décidément épileptique. Effroyable perspective ! L’Europe couverte de fous, de furieux, d’idiots ! On ne dit pas comment ce mal fut traité, et s’arrêta. Le remède qu’on recommandait, l’expédient de tomber sur ces danseurs à coups de pied et de poing, était infiniment propre à aggraver l’agitation et la faire aboutir à l’épilepsie véritable. Il y eut, sans nul doute, un autre remède, dont on ne voulut pas parler. Dans le temps où la sorcellerie prend son grand essor, l’immense emploi des Solanées, surtout de la belladone, généralisa le médicament qui combat ces affections. » (La sorcière, p. 111-112).

Cette description est très intéressante parce qu’elle insiste sur le caractère collectif de cette étrange maladie, constituant ce « terrible cœur », un collectif généré par de la contagion ou de la propagation, comme dans les rituels de possession auxquels elle ressemble à s’y méprendre. Une autre chose intéressante, c’est la filiation d’avec l’épilepsie. Michelet fait ici l’hypothèse d’une espèce d’organisation hiérarchique des troubles : si on laisse la danse de Saint Guy persister, voire si on l’aggrave par les coups, elle dégénère en épilepsie. Enfin, Michelet nous intéresse parce qu’il évoque les remèdes, et ici on est très proche de la manière contemporaine de faire, qui administre, comme au XIVème siècle, des médicaments neuroleptique :

Aujourd’hui, essentiellement l’aripiprazole, commercialisé sous la marque Abilify®, est le sixième, et le plus récent, des neuroleptiques antipsychotiques atypiques Il est utilisé dans le traitement de la schizophrénie. Il est, de plus, utilisé dans le traitement de la manie aiguë et des épisodes mixtes associés aux troubles bipolaires (Wikipedia).

Jadis, on employait les « Solanées » (faute de l’édition ou évolution de l’orthographe ? Je ne trouve aujourd’hui que des « Solanacées »), immense famille recouvrant plus de 2500 espèces de plantes, dont un sous-groupe, les « Solonacées vireuses », contiennent des alcaloïdes, utilisés depuis des siècles pour leurs propriétés psychotropes : jusquiame, belladone, datura, mandragore, tabac… « La belladone est un calmant et un puissant antidouleur (à cause de l’atropine qu’elle contient) et fut donc utilisée pour insensibiliser des malades (souvent pour une opération chirurgicale), elle continue à être utilisée dans la médecine moderne. » (Wikipedia).

Danse de Saint Guy et chorée de Sydenham

Aujourd’hui, l’expression Danse de Saint-Guy ne correspond pas à la maladie de Huntington mais à la Chorée de Sydenham, maladie rhumatismale, qui touche les enfants de 5 à 15 ans, qui est la conséquence d’une infection du système nerveux central, et qui se soigne avec de la pénicilline. Andy Warhol en a d’ailleurs souffert : « En 1937, il est alors atteint de la maladie de la danse de Saint Guy. Souvent alité durant sa maladie, il est mal-aimé dans son école, et passe la majorité de son temps avec sa mère avec qui il tisse un lien très fort. Lorsqu’il est confiné à son lit, Andrew dessine, écoute la radio et collectionne des photos de stars de cinéma. Plus tard, Warhol décrira cette période comme très importante dans son développement personnel et celui de ses goûts. En 1942, Andrew qui a alors 14 ans perd son père après trois ans de maladie. » (Wikipedia). (Ici, petit tortillon vers mes chers alités !)

Lecture de l’article « Le mal de Saint vit (ou Saint Guy) », de Claire Biquard, chercheur à l’EHESS (toutes les citations qui suivent sont tirées de cet article que j’ai trouvé sur le net et qui a été publié dans le Bulletin d’histoire de la médecine en 2001).

Il y a quelque chose d’un petit peu confus dans toute cette histoire de Saint Guy, double plus que confus, qui selon moi sonne d’ailleurs plus juste qu’autre chose : saint Guy fut le saint patron invoqué pour soigner les danses de saint Guy, mais on ne sait pas bien s’il n’était pas lui-même à l’origine des troubles :

« C’était, croyait-on, un mal que saint Guy avait le pouvoir de guérir mais aussi d’infliger. Ce saint est caractérisé par l’ambivalence. L’aspect maléfique du saint, son pouvoir d’infliger la maladie transparaît dans des formules de malédiction qui étaient très usitées autrefois : « Que Dieu t’envoie saint Guy », « Que saint Guy t’invite à danser » ou « Puisse saint Guy t’affecter ». Cette dernière formule se trouve fréquemment chez les auteurs alsaciens des XVème et XVIème siècles. » (…) « La croyance au « mal de saint », attestée dans toute l’Europe, fait référence à un double pouvoir du saint sur la maladie qui porte son nom. Etant le seul à pouvoir guérir ce mal, il peut aussi le provoquer ou l’infliger ».

« L’appellation « danse de saint Guy » est ancienne. Elle désigna tout d’abord l’ancienne danse curative du solstice maintenue lors de la fête de saint Guy. Cependant, pendant longtemps, elle fut utilisée pour désigner des phénomènes divers dans lesquels on trouvait des mouvements choréiformes (ainsi le mal de saint Vit et, à partir de 1518, les épidémies de danse du Moyen Age). Puis les médecins l’appliquèrent à toutes les affections qui donnaient lieu à des gestes convulsifs même si ceux-ci ne rappelaient pas les mouvements des danseurs[^1]. Aujourd’hui la « danse de saint Guy » désigne une affection bien connue médicalement: la chorée de Sydenham. C’est une maladie de nature infectieuse ayant des relations avec le rhumatisme articulaire aïgu et qui atteint surtout l’enfant. Les phénomènes recouverts par la danse de saint Guy ont été analysés et précisés pour la première fois par P. Diepgen, Deutsche Volksmedizin, wissenschaftliche Heilkunde und Kultur, Stuttgart, 1935. »[^2]

Danse de Saint Guy, tarentisme et rites de possession

On trouvait la danse de saint Guy, la maladie comme les processions dansantes (l’article parle même de « danses médicales ») et curatives en Europe et particulièrement en Bavière dans le Moyen âge, mais il semble qu’il y ait un parallélisme/translation possible d’avec ce qui se passait en Italie avec la Tarentelle. Ernesto de Martino fait lui même le parallèle, dans La terre du remord> (et ce d’autant plus que les origines de Guy sont siciliennes ? En Italie, Saint Guy était d’ailleurs très populaire et on avait recours à lui pour les morsures, notamment de chiens enragés). Or, pour de Martino comme pour les ethnologues et ethnomusicologues Lapassade et Rouget, le « tarentisme » est un rite de possession comparable aux rites africain et afro-américains.

« Dans le rituel dédié à saint Guy, les malades ont recours à la transe pour communiquer avec le saint et pour l’apaiser. C’est un rite de transe communielle, qui n’est pas sans évoquer celui des Aissaouas au Maroc, par exemple. Sa finalité est thérapeutique. » (je souligne).

Sur la « conversion » d’un mal en remède, schéma que l’on retrouve si souvent dans les observations ethnopsy : une forme de possession par un être (pour aller très vite), qui trouve sa résolution dans l’instauration d’un culte vis à vis de l’être en question. Claire Biquard, dans son article, montre qu’elle ne croit pas à la thèse selon laquelle les danseurs de Saint Guy aient pu souffrir d’autres maux que psychosociaux, lors de certains « moments critiques de leurs existences » : « Il est possible, néanmoins, que l’on ait tenté d’agir par les danses sur des malades atteints d’une maladie neurologique ou psychique déterminée. Mais, dans ce cas, cette thérapie n’aurait pu donner les résultats constatés par les médecins qui avaient observé les danseurs de saint Guy. ».

Les chorea de Paracelse

On se trouve ici dans la lignée explicative initiée par Paracelse, le célèbre médecin de la Renaissance, pour lequel toutes les maladies pouvaient s’expliquer par des « causes naturelles » :

« “Dans la nature il y a non seulement des maladies qui affligent notre corps et notre santé, mais quantité d’autres qui nous privent de la saine raison, et celles-ci sont les plus graves. En parlant des maladies naturelles et en observant à quel point et combien gravement elles affligent diverses parties de notre corps, nous ne devons pas oublier d’expliquer l’origine des maladies qui privent l’homme de raison, car nous savons qu’elles viennent du caractère de l’homme. Aujourd’hui le clergé d’Europe attribue ces maladies à des êtres fantomatiques et à des esprits triples; nous ne sommes pas enclins à les croire. Car la nature prouve que de telles explications par des dieux terrestres sont inexactes et, comme nous l’allons montrer dans ces chapitres, que la nature est l’unique origine de ces maladies ». » Paracelse, dans Henri H. Sigerist (ed.), Quatre traités de Paracelse, traduction et introductions de C. L. Temkin, G. Rosen, G. Zilboorg et H. Sigerist, Baltimore, 1941.

Pour Paracelse, il ne fallait pas donner le nom d’un Saint à une maladie, il trouvait cela non seulement absurde mais païen, et de ce fait susceptible de déplaire à Dieu.

« À cet égard, il peut être comparé à Hippocrate dépossédant les dieux de tout rôle dans l’origine de l’épilepsie. » « Afin de soustraire le mal de saint Vit de toute connotation religieuse, Paracelse lui donna l’appellation générique de chorea. >Il distinguait trois formes de la maladie et prescrivait un traitement approprié à chacune d’entre elles : – La chorea vitista était selon lui la maladie d’origine. Elle avait hérité son nom de saint Vit qui était supposé infliger la maladie. Il l’appelait aussi chorea imaginativa, aestimativa car elle était le fruit de l’imagination et de la suggestion. – La chorea lasciva était provoquée par des désirs sensuels et affectait plus les hommes que les femmes en raison de leur plus grande force imaginative et de leur tempérament. – La chorea naturalis avait pour origine des causes corporelles » Henri H. Sigerist, Quatre traités… p. 181-182.

[^1]: Et c’est ici, dans cette zone trouble du tout convulsif, que s’est glissée la maladie de Huntington. D’où la confusion qui a longtemps perduré et qui continue de perdurer quelque fois entre Danse de Saint Guy et Maladie de Huntington. Sans doute est-ce pour distinguer encore mieux les deux maladies que l’on a cessé de désigner par chorée la maladie de Huntington.

[^2]: C’est le texte fondateur de la Chorée de Sydenham, le pendant du texte de George Huntington de 1872.


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