Angèle

28 décembre 2012

Alice R. : Je n’ai pas encore rencontré Angèle, mais nous sommes en correspondance depuis plusieurs semaines par e-mail. C’est par l’intermédiaire de Stéphanie Soudrain, membre de Dingdingdong qui mène ses propres investigations huntingtoniennes dans le sud de la France, que nous sommes entrées en contact. Stéphanie avait posté une annonce au mois de juin 2012 sur Huntington Inforum, le forum français rassemblant des personnes touchées par la MH actuellement le plus fréquenté, où elle disait qu’elle recherchait des témoignages de personnes touchées par la MH. Angèle lui a répondu et une correspondance s’est alors engagée par e-mail entre elles deux. Au moment de la première résidence de Dingdingdong, fin août 2012, Angèle a envoyé au collectif, par l’intermédiaire de Stéphanie, le texto suivant : « Bonjour Stéphanie. Vous êtes sûrement en pleine réunion. J’ai 1 pensée pour vs, le collectif et la cause que l’on défend ts. Je pense vous écrire bientôt. ». Cela nous avait beaucoup touchés et nous lui avions alors chacun envoyé un petit mot. Au retour de mes voyages d’automne, Stéphanie m’a fait parvenir le récit d’Angèle tel qu’elle avait commencé à le recevoir par e-mail. Je l’ai lu et j’ai été très impressionnée par sa manière de raconter les choses, claire, directe, sans amertume, et en même temps bouleversante. Je lui ai écrit et depuis, nous entretenons avec Stéphanie et Angèle une espèce de correspondance triangulaire à laquelle je me suis aussitôt très attachée. Régulièrement, une à deux fois par semaine, Angèle nous écrit pour dérouler un peu plus loin son histoire que je compile soigneusement dans un fichier dédié qui compte déjà une trentaine de pages. Angèle est la première personne à participer à notre projet de coproduction de connaissance sur la MH par le recueil de témoignages, et je la considère comme une co-chercheuse. D’abord parce qu’elle m’aide à formuler les bonnes questions, ensuite parce que c’est grâce à elle que j’ose m’avancer encore plus loin dans cette entreprise – c’est notre témoin déclencheur.

La correspondance entre Angèle, Stéphanie et moi ne s’arrête pas là, loin s’en faut. Elle continue son chemin, à l’abri des regards pour l’instant.


2 août 2012, Angèle à Stéphanie. Objet : Témoignage.

Bonjour Stéphanie,

Excusez-moi de ce silence pendant quelques jours mais problèmes familiaux, décès d’un de mes oncles et dispersion de ses cendres. Je me pensais très très forte, mais quand cela arrive c’est quand même très émouvant et éprouvant après coup.

A part cela, je vais commencer par le début et si vous voulez d’autres renseignements ou une autre direction dans mon témoignage, n’hésitez pas à m’en parler et à m’aiguiller différemment.

Du plus loin que je me souvienne, je suis née dans une famille modeste, mon père n’était pas très démonstratif et ma maman (toujours vivante) était très maman poule, ultra protectrice. Je me souviens du bonheur d’être une petite fille unique, certes, mais dynamique, pleine de vie, un peu casse-cou et un peu garçon manqué. C’était dans les années 60 et quand mon père a pu acheter sa 1ère voiture, nous allions à peu près toutes les 2 semaines chez mes grands-parents paternels. Ils habitaient une toute petite maison de 2 pièces dont une servait de chambre à coucher avec 2 lits, cela m’avait choquée à l’époque, et pièce à recevoir. Mes grands-parents avaient 10 enfants et mon grand père avait été petit patron agriculteur. Mon grand-père était bonhomme, tout petit, toujours gentil. Ma grand-mère était toujours alitée ; du haut de mes 6 ans, cela m’impressionnait beaucoup, cette femme qui ne s’exprimait que par des sons que je ne comprenais pas, alors que mon père comprenait très bien sa maman. Il y était très attaché. Donc j’étais impressionnée par ma grand-mère qui ne se levait jamais, qui n’allait pas aux toilettes, que je ne voyais jamais manger. En plus de cela, elle n’y voyait presque plus, la vue n’était pas corrigée comme maintenant. Quand on y allait, mon père qui n’était donc pas démonstratif, était très tendre près de sa maman, très doux, il lui parlait un peu et donc elle répondait par des sons que seul lui déchiffrait. Ma mère embrassait sa belle-mère avec beaucoup de respect. Elle l’avait connue avant que cette maladie soit complètement déclarée et elle m’a toujours dit que c’était une bonne personne. Puis venait mon tour. Mon père me demandait de venir saluer ma grand-mère car je n’osais pas y aller. Cela me faisait peur. Après cela, nous nous installions autour d’une table dans la même pièce, et nous prenions un verre de Vérigood Orange et des boudoirs. Ah ces souvenirs d’enfance.

Le bon côté des choses, comme c’était une grande famille très liée à leur mère, je retrouvais mes cousins et mes cousines et nous jouions tous ensemble à l’extérieur de la maison. Nous les enfants étions inconscients. Par contre, je ressentais que mes oncles et tantes avaient beaucoup d’amour pour leur mère malade, mais moins d’amour envers mon grand-père que moi j’adorais. J’ai su les raisons plus tard. De l’âge de 6 à 11 ans, les années se sont écoulées de la même façon. Mon père, ses frères et sœurs toujours présents auprès de leur mère.

Je continue plus tard sur un autre mail. A tout à l’heure.

Cordialement.

Angèle

7 août 2012, d’Angèle à Stéphanie. Objet : suite…

Bonsoir Stéphanie,

Je reprends mon histoire. J’ai 12 ans ; ma GM vient de décéder, et je recommence à tendre l’oreille et j’entends que cette maladie que l’on appelait donc de « St Guy » était héréditaire et qu’il y aurait sûrement d’autres cas dans la famille. Je prends cette information en pleine tête. Sur qui cela va-t-il tomber ? J’observe ma famille, mes oncles, tantes et mon papa. Assez vite, on apprend que la fille aînée de ma GM est atteinte ; au départ, elle était légèrement agitée de la tête et de ses bras et jambes. Mais je ne vis pas avec elle et je ne vois que la partie visible des symptômes. Chez moi, ce qui me surprend, c’est que mon père a des brusques changements d’humeur. Le samedi matin, ça va à peu près, et l’après-midi plus les années avancent, plus les scènes se renouvellent et à la fin des scènes, sa sortie était qu’il allait se coucher de bonne heure, parfois à 16 ou 17 heures. Nous restons ma mère et moi ensemble, nous nous n’en parlons pas et j’essaie de me convaincre qu’il a bien une maladie mais que ce n’est pas la MH. Je refuse ; ce n’est pas possible, il ne peut pas finir sa vie comme sa mère. A partir de 12 ou 13 ans, j’ai vraiment le sentiment que ma vie change. Cette maladie est taboue. Ce n’est pas une maladie noble, limite honteuse. Que dire aux autres, mes amis, mon entourage, le reste de ma famille ? Ma position est de ne rien dire, faire l’autruche avec tout le monde. Quand on me demande si ça va, je vais toujours bien et mes parents aussi vont bien. Le dimanche matin quand mon père se lève, on fait comme s’il ne s’était rien passé la veille, et le dimanche était généralement une assez bonne journée familiale. J’ai longtemps refusé son statut de malade, et même avec ma maman on n’en parlait pas et pour moi ce n’était pas la MH.

Pendant ce temps-là, ma tante est de plus en plus atteinte, agitée. Pour les changements d’humeur, je n’en sais pas plus et je n’en ai jamais entendu parler. Mais un autre drame s’annonce dans la famille. Ma tante malade a plusieurs grands enfants qui sont tous partis de la maison. En 1977, le mari de ma tante malade se suicide en se noyant dans un étang près de chez lui. Leurs enfants ne se sont pas étendus sur le mobile de ce suicide. Est-ce que la vie avec ma tante était devenue impossible pour son mari ? Sa fille aînée m’a dit un jour que sa mère passait ses journées assise et qu’elle attendait que le temps passe et allait se coucher très tôt le soir. Est-ce que c’était devenu impossible à vivre et à supporter comme cela l’avait été pour mon GP ? Ils avaient tous les 2 autour de 50 ans. Une fois la sépulture passée, il est évident pour ses enfants qu’elle ne pouvait plus rester seule à vivre dans sa maison. Dans un premier temps, les enfants essaient de se relayer auprès d’elle, mais ce n’est pas possible très longtemps Elle est donc placée dans un institut spécialisé aux alentours de 52 ans. Evidemment, dans ces conditions, son état s’est très vite aggravé, elle finissait par ne plus sortir du tout de son lit et elle n’arrivait plus à s’exprimer comme ma GM. Elle était alimentée par une sonde et ça a duré quelques temps. Mes parents allaient assez souvent la voir, mais moi non, je n’y allais pas, j’avais grandi et je commençais à pouvoir choisir de sortir ou pas, d’aller en famille ou pas.

De mon côté, plus le temps avançait, plus j’observais mon père, j’avais beau me dire que c’était sûrement une autre maladie qu’il développait, au fond de moi, je voyais bien qu’il s’agitait de + en +, que ses humeurs étaient changeantes sans aucune raison. Il nous semblait qu’il nous contrariait ma mère et moi-même pour le plaisir de contrarier ; on disait une chose, il disait le contraire. Combien de fois, je me suis accrochée avec lui quand on parlait de la vie, du travail, de la politique… Le ton montait, il finissait par aller se coucher et le lendemain, pas un mot d’excuse, rien on n’en parlait pas et je ne souhaitais pas en parler. J’essayais de soutenir ma mère parce ce que c’était encore plus dur pour elle, mais depuis quelques temps, en en parlant avec elle, je pense que je ne l’ai pas assez soutenue. Je pensais bien faire, je ne voulais pas prendre parti pour l’un ou pour l’autre, mais j’aurais pu être d’un meilleur secours pour ma mère. Mon père travaillait toujours et on avait toujours peur qu’il lui arrive quelque chose et d’un autre côté, je me disais que tant qu’il travaillait, il avait un but, que le matin, il devait se lever et se battre avec sa maladie. Jusqu’à ce qu’il soit victime d’un plan social dans son entreprise. Il n’est pas parti dans de mauvaises conditions, mais c’était un licenciement sec. Il a arrêté de travailler du jour au lendemain. Comme les mauvaises nouvelles vont toujours par 2, ma mère perd son emploi à la même époque. A la limite, cela s’est transformé en une bonne chose. Mes parents ont décidé avec leur prime de licenciement d’acheter une grande caravane qu’ils ont installée au bord de la mer et pendant quelques années tous les étés, ils en ont profité et mon père se sentait un peu mieux à la mer. Il ne faisait rien, il regardait la télé, il a été passionné toute sa vie par les mots croisés et il continuait encore à en faire. Il venait parfois avec moi à la plage. Il essayait de se baigner mais évidemment il n’avait plus d’équilibre, et il passait son temps le derrière dans le sable déséquilibré par les vagues.

J’ai commencé à souffrir du regard des autres ; il marchait de travers ; il donnait l’impression d’avoir bu et je voulais le protéger. Je suis devenue une vraie lionne. J’étais très timide et réservée, mais il ne fallait pas toucher à mon père. Les seuls mots et gestes de tendresse que j’ai vu de la part de mon père avaient été destinés à ma GM. Avec moi, il n’a jamais eu de gestes tendres, ni de mots que j’aurais bien voulu entendre ; j’aurais bien aimé qu’il me dise qu’il était fier de moi. Mais je savais qu’il m’aimait à sa façon et je l’aimais tellement.

A cette époque, on a commencé à entendre le mot « chorée de Huntington » par notre médecin généraliste. Notre ancien médecin étant décédé prématurément, nous avions donc un nouveau médecin qui m’a avoué plus tard qu’il avait remarqué le comportement bizarre de mon père dès sa première visite, et mon père avait 50 ans.

Pour la petite histoire, j’ai fait le dépistage de la MH l’année de mes 50 ans et tous les médecins, psychologues, infirmières, neurologues, tous m’ont dit qu’ils avaient l’habitude et l’œil pour constater ou non la maladie, et qu’ils ne pensaient pas, tous m’ont dit qu’ils ne pensaient pas que j’étais porteuse. Alors que j’en étais persuadée, je l’ai tellement vu de près, que je la sentais, je la ressentais, je l’avais cette maladie. Mon médecin persuadé que je n’avais rien m’avait proposé le dépistage quand cela a été possible et j’ai toujours refusé, je n’avais pas besoin d’être assurée de l’avoir. Je pensais de l’âge de 25 ans à 50 ans que d’avoir cette certitude dans ma vie m’empêcherait de vivre normalement. Je ne dis pas que j’ai vécu normalement, ce serait faux de le dire, mais c’est ce dont j’avais besoin, j’avais besoin d’ignorer cette MH. Et quand j’ai eu 50 ans, j’allais très mal, le dépistage s’est imposé à ce moment.

Voilà, je crois que je vais m’arrêter pour ce soir. Je pense avoir bien avancé même si je trouve que je me disperse un peu et que le récit part dans tous les sens. Désolée.

Je reprends notre entretien un autre jour parce que la MH a décidé de bien détruire mon papa à petit feu. Je n’en ai pas terminé.

Je vous souhaite une bonne soirée.

Amicalement.

Angèle

2 septembre 2012, Angèle à Stéphanie. Objet : Mon papa, son combat, sa défaite, ma victoire

Bonjour Stéphanie,

Coucou me revoilà, je vais tenter de reprendre le cours de mon histoire ; mais ce n’est pas la plus facile, car il s’agit de beaucoup de ressentis qui sont difficilement transcriptibles. Mais, je vais essayer petit à petit.

J’étais donc arrêtée à la fin des années 80. Mes parents ne travaillaient plus ni l’un ni l’autre. Mon père était de plus en plus atteint physiquement. Il marchait d’une façon saccadée, de travers, ses bras étaient agités, ainsi que ses jambes quand il était assis. Il avait du mal aussi à garder la tête droite, elle retombait en avant. On se rendait compte que c’était un effort pour lui de relever la tête. Il était de plus en plus dans le mutisme. Il parlait de moins en moins et quand il parlait, c’était pour nous contester ma mère et moi, ou pour contester ce qu’il voyait à la tv, etc. il était rarement dans un état stable. Il fallait vivre avec. Ce que nous ne savions pas, c’est l’avenir qui nous attendait, et le temps qu’il restait et nous n’avions aucune idée de sa façon de vieillir. Sans se concerter, ma mère et moi, nous refusions toujours officiellement le nom de « Chorée de Huntington ». Je m’auto-convainquais que c’était une maladie génétique voisine, mais que c’était une autre maladie et que cela se terminerait autrement que pour sa mère et sa sœur. En allant dans le détail un peu glauque, mes parents partageaient encore le même lit, et la nuit, il ne se sentait pas uriner. Ma mère se réveillait donc la nuit, le matin dans un lit trempé par l’urine. Et toujours toute seule, sans aide, elle faisait et refaisait le lit, lavait les draps. On était perdus.

Je voudrais faire une petite parenthèse. Ayant vécu de très, très près cette maladie et à cette époque, j’ai eu souvent l’impression qu’il le faisait exprès (grave erreur) que cela provoquait quelques tensions, et qu’il se laissait aller. Qu’il suffisait qu’il décide de se bouger un peu pour que tout le monde aille mieux.

Maman était admirable. Elle ne se plaignait pratiquement jamais devant moi. Elle était fatiguée, mais continuait, c’était son homme et elle le soignait. Mon père a fumé toute sa vie, et il continuait à fumer. On avait peur, il menaçait de faire tomber sa cigarette et de mettre le feu, on le surveillait. Comme il avait été un gros fumeur toute sa vie, il faisait des bronchites chroniques, il toussait beaucoup et le médecin le soignait à la cortisone. Cela l’a fait grossir. Vu son état, le médecin avait décidé de venir le voir tous les mois.

Un jour, mon père ne s’est pas levé de son lit, ne réagissait pas, n’était pas agressif « comme à ses habitudes ». Ma mère m’a fait appeler au bureau, je suis rentrée précipitamment à la maison. Le médecin est venu en urgence, il n’était pas tout à fait inconscient, il me reconnaissait, je voyais de l’amour dans ses yeux. Le médecin a décidé de l’hospitaliser en urgence, ce qu’il avait toujours refusé et nous aussi. Tant que l’on n’avait pas la confirmation, on pouvait toujours douter. Politique de l’autruche.

Donc direction les urgences en ambulance. Nous sommes arrivés tous les 3. Ma mère avec mon père et je suivais en voiture.

Les premières heures aux urgences se sont bien passées. Mon père était calme et presque content que l’on s’occupe de lui ; mais cela a duré quelques heures et très vite, il a voulu rentrer chez lui dans sa maison ; il nous implorait, maman et moi. Pour le coup, il sortait de son mutisme habituel. J’essayais de le calmer, de lui parler gentiment, de lui dire que c’était pour son bien être futur.

Nous avions prévenu les médecins sur place que nous ne voulions pas que l’on annonce le nom de la maladie à mon père, qu’il fallait traiter directement avec moi. Je ne sais pas si c’est bien ou pas. C’était ma position à ce moment-là. Petite parenthèse ; ce qui est surprenant, c’est que j’ai eu la position inverse. J’ai pensé toute ma vie que j’avais cette maladie sans en vouloir la confirmation, et tout à coup, presque sur un coup de tête, j’ai lancé le dépistage auprès des services neurologiques d’un service assez proche de chez moi (60 kms et qui est très compétent, ça c’est mon avis).

Fin de parenthèse. Quand mon père a compris qu’il ne ressortirait pas de l’hôpital dans la journée, il s’est à nouveau refermé sur lui-même et pour finir par entrer dans un coma profond. Il était sans connaissance du tout.

Les services de l’hôpital l’ont installé dans une chambre. Ma mère et moi avons demandé une chambre individuelle, ce qui ne faisait pas normalement, mais les médecins et les infirmières ont compris assez vite que l’on passerait tout notre temps dans sa chambre et que j’étais ses yeux, ses oreilles, sa bouche pour parler à sa place.

C’était au mois de mai 90, et manque de chance, le neurologue du service était en congés pour 2 semaines. Donc, le service nous a prévenues que l’on supprimait tous les traitements de mon père et que l’on attendait le retour du neurologue. Cela nous semblait une éternité. 15 jours. Allez courage.

Encore une parenthèse. Le premier soir, nous sommes donc parties de sa chambre, il était dans le coma, et nous ne savions pas si nous allions le revoir en vie ou pas. Moments très difficiles pour toutes les deux. Le lendemain matin, au bureau, évidemment la petite secrétaire comptable était sens dessus dessous, gros pleurs et moral à zéro. Ma patronne arrive à 10 heures et me dit que pour ne pas rester dans cette situation, il valait mieux que j’aille voir comment s’était passée sa nuit. Aussitôt dit, aussitôt fait. Direction hôpital, visites interdites avant midi, cela m’est égal, personne ne pouvait m’empêcher de rentrer dans la chambre de mon père. Je rentre et je vois mon père sous assistance respiratoire mais réveillé, il me reconnait bien sûr, me sourit (yes, enfin je retrouve mon papa), et me parle difficilement mais me parle. Il ne se souvient de rien, se demande où il est, dans quelle ville, dans quel hôpital, mais cela faisait longtemps que je n’avais pas vu mon père aussi « lucide ». Aussitôt, j’empoigne le téléphone de la chambre, j’appelle ma mère restée à la maison et on réussit à parler tous les 3. Moi je parle, je parle, mon père dans son langage et ma mère pleure, et elle pleure. Très grands moments d’émotions, de tendresse avec papa et maman, et de savoir que ce serait long mais il était entre de bonnes mains et qu’il était vivant.

Je travaillais donc au bureau ; le midi, je déjeunais dans sa chambre et le soir à la débauche, direction encore l’hôpital. Ma mère venait le midi le faire déjeuner, revenait à la maison pour se reposer un peu et repartait le soir pour le faire dîner. Le premier samedi de son hospitalisation, je me souviens, c’était pendant Roland Garros, (mon père toute sa vie m’a fait partager sa passion pour beaucoup de sports). Je voulais passer le plus de temps possible avec lui. Je vous ai dit, j’étais ses yeux, ses oreilles, et sa langue pour parler à sa place et je me souviens avoir regardé toute l’après-midi le tennis, mon père couché sur son lit, moi assise sur le fauteuil à moitié couchée, et nos deux mains jointes. C’est je crois l’un des plus beaux souvenirs de ma vie. Je l’avais pour moi toute seule, on ne parlait pratiquement pas, on n’en avait pas besoin, et j’étais bien. Encore maintenant, j’en frissonne de ce moment.

Ce que je voudrais dire aussi et qui m’a beaucoup contrariée, c’est qu’il venait à peine d’entrer dans ce service ; il n’avait toujours pas vu le neurologue pour ce nouveau traitement et l’infirmière en chef m’a convoquée pour me dire qu’il fallait réserver une chambre dans une maison de convalescence ou de maison médicalisée et qu’il ne rentrerait probablement jamais à la maison vu son état. Je me suis un peu énervée et je lui ai répondu que le neurologue n’étant pas là, personne ne pouvait savoir dans quel état serait mon père dans quelques temps et qu’il était hors de question de réserver ailleurs et que ce que je programmais, c’était son retour à la maison, et que j’avais 2 ou 3 semaines pour m’organiser. Mes relations avec cette responsable infirmière n’ont pas été très bonnes pendant la durée du séjour de mon père ; mais pour le reste, les infirmières et les aides-soignantes ont été très bien. On avait donc 15 jours devant nous. On a commencé à nous mettre en relation avec des assistances sociales. J’ai couru à droite et à gauche. C’était évident qu’il ne pouvait plus rentrer à la maison dans les mêmes conditions qu’avant. On en a profité pour s’organiser. Lit et fauteuil médicaux pour améliorer son ordinaire et l’ordinaire de ma mère. On a décidé aussi que ma mère ne pouvait plus rester 24/24 avec lui. Il lui fallait des petites fenêtres vers l’extérieur pour tenir le coup. Nous avons donc pris contact avec une association pour pouvoir bénéficier d’une aide à domicile. C’est donc Francine qui est entrée dans notre vie.

Donc au bout des 15 jours d’absence du neurologue, il lui prescrit un traitement spécifique à cette maladie et il reste une semaine supplémentaire pour voir sa réaction. Il a donc passé 3 semaines à l’hôpital. Les premiers jours, il était de bonne humeur et rapidement, il a boudé, ne voulait pas faire quelques pas dans le couloir, il ne voulait pas parler, il boudait. Je pense qu’il a eu peur qu’on le place dans un institut genre maison de retraite pour personne en fin de vie et il a eu peur de ne jamais rentrer dans sa maison. Nous avions un chien à la maison, et paradoxalement, il parlait plus souvent de son chien que de nous ou de la situation. Finalement, au bout de 3 semaines, la décision de rentrer est prise par le médecin. Grand jour, c’était un vendredi. L’ambulance le ramène chez nous en position allongée, le monte dans la maison car nous avons une maison à escalier et l’installe dans son fauteuil. Notre chien Olaf lui fait la fête, il fait la fête à son chien. Et là grande surprise, il se lève et marche seul. On n’en revenait pas maman et moi. Je me souviens des paroles de ma mère « il me l’ont changé à l’hôpital ». Le seul petit point noir lors de son retour, c’est lorsque qu’il rentre dans sa chambre et qu’il voit le lit médical à côté du lit « conjugal ». Il ne veut pas dormir dans ce lit, il veut continuer à dormir à côté de maman. Nous ne voulons pas céder. Maman a assez souffert de se réveiller dans un lit trempé. C’est maintenant qu’il faut que l’on soit fortes pour ne pas céder. Il a eu du mal à se faire à ce lit, mais finalement c’était un détail et il a fini par aimer son lit.

Voilà, nous sommes en 1990, nous sommes organisées avec maman, Francine vient 3 matins par semaine pour le faire manger, faire le lit, repasser, etc. et un après-midi par semaine pour que maman puisse sortir avec une amie et faire beaucoup de marche. Cela lui a fait beaucoup de bien. De mémoire, nous avons été tranquille peut être 2 petites années. Difficiles bien sûr, mais ce qui changeait tout c’était que l’on était organisées.

Evidemment, cela ne pouvait pas continuer comme cela indéfiniment. Son état s’est aggravé. En 1990, il ne lui restait que 7 ans à vivre, encore 7 ans à vivre. Mais quelle expérience de la vie. Jamais, je ne regretterai ce que j’ai fait, ce que j’ai vécu, ce qu’il m’a apporté.

Je vais peut-être m’arrêter là pour le moment.

J’ai écrit le récit d’un jet, je ne relis pas.

Tant pis pour les fautes, excusez-moi d’avance.

Je vous envoie un autre mail par ailleurs pour vous parler d’autres choses.

A tout à l’heure.

Cordialement.

Angèle

Alice à Angèle, 25 septembre 2012. Objet : votre témoignage.

Chère Angèle,

Stéphanie m’a transmis votre témoignage ce matin, et j’ai tout lu d’une traite. Je suis très bouleversée par votre histoire, et plus encore par la manière dont vous la racontez qui est si fine et qui, pour une fois (c’est très très rare dans le domaine de la MH !) est pleine de tendresse et sans trace d’amertume. Bravo et merci… Vous m’apportez beaucoup. Je pense que Stéphanie vous a un petit peu parlé de moi, du projet Dingdingdong, auquel vous avez participé à distance la dernière fois en nous envoyant ce texto si joli. L’aventure continue, c’est un petit peu long et laborieux car il y a beaucoup de pain sur la planche, mais peu importe, c’est déjà immense de pouvoir partager la MH comme une aventure de pensée et pas seulement comme une maladie pour laquelle il n’y aurait rien à faire. Moi, je crois qu’il y a au contraire tout à faire pour ceux qui sont porteurs et malades, et aussi pour les autres qui ne le sont pas mais qui en sont forcément affectés, même si (et peut être justement parce que) il n’y a pas de traitement pour l’instant. C’est d’ailleurs ce que nous a dit Charles Sabine, un porteur de la MH qui en est un peu le porte-parole dans le monde anglo-saxon, au Congrès européen de Stockholm auquel j’ai participé la semaine dernière. Il nous a dit : ne laissez personne vous dire qu’il n’y a rien à faire, c’est le contraire : il y a tout à faire pour améliorer le bien être des malades et de leurs proches, mais aussi pour participer à la recherche en cours. Ma maman a 68 ans et elle est malade, mais elle est encore bien « pour son âge » (je veux dire, vu qu’elle est malade de la MH…). Elle vit seule avec des aides qui viennent chaque jour pour sa toilette, mais elle se déplace encore seule, va au ciné et aux expos en chaise roulante, et cet été, elle nous a même emmenés en vacances avec elle ! J’ai beaucoup de chance. Son comportement a beaucoup changé, mais sa personnalité reste vraiment la même, elle est vraiment encore elle. Elle est très bien soignée par une neurologue magnifique, que j’ai adoptée également pour moi… J’ai beaucoup d’amour pour ma mère, c’est même assez gigantesque… plus elle est malade et plus elle m’attendrit. Votre tendresse pour votre papa, si bien décrite, je me suis énormément reconnue dedans.

J’aimerais connaître bien sûr la suite de votre récit, ces années dont vous dites qu’elles vous ont tant appris. C’est exactement le genre de chose qui m’intéressent : apprendre des choses sur la vie, sur l’amour et sur soi-même grâce à l’expérience de la maladie de H. Je n’ai pas bien compris si vous-même êtes porteuse, je crois que oui, mais dans votre témoignage cela n’apparaît pas clairement. Bien sûr, ne me le dites pas si vous n’en avez pas envie, je comprendrais très bien.

Je vous dis à bientôt et vous remercie encore de nous faire partager cette histoire.

Bien à vous

Alice.

25 septembre 2012, Angèle à Alice.

Bonjour Alice,

Je suis contente d’avoir un petit mot de votre part. Enfin, j’attendais avec impatience notre future relation par mail interposé. Ce matin je n’ai pas trop le temps pour vous écrire ; un peu compliqué pour vous expliquer rapidement, mais cela viendra en son temps.

Je vous propose comme à Stéphanie, si vous le souhaitez et si cela ne vous dérange pas que l’on pourrait se tutoyer ; cela pourrait faciliter nos entretiens. Je sais qu’avec Stéphanie, cela m’a rapprochée d’elle, cela a créé un lien plus intime, mais je comprendrais si vous ne le souhaitez pas. C’est bien sympa de savoir que quelqu’un à l’autre bout de la France, connaît mon histoire, et sait plein de choses que beaucoup autour de moi ignorent et vont j’espère ignorer encore longtemps.

Je vous propose également que lorsque je reprendrai mes récits de l’histoire de la MH et moi, je vous envoie les mails à la fois à Stéphanie et également en copie pour vous.

Vous me posez la question délicatement si j’étais porteuse de la MH. Et la réponse est OUI. Je m’en suis doutée un peu toute ma vie ; j’ai toujours refusé le test de dépistage malgré mon médecin traitant qui m’encourageait à le faire assez tôt dans ma vie, vers mes 30 ans. Il y a 2 ans, l’année de mes 50 ans, j’ai craqué. J’expliquerai davantage pourquoi dans mon récit et j’ai décidé de passer ce test en un quart d’heure. Cela m’a semblé évident à ce moment-là. Il fallait que j’aie la « confirmation ». Sans entrer dans les détails pour le moment, j’ai passé toutes les différentes étapes et malencontreusement, à chaque rendez-vous différent (neurologue, psychologue, infirmières référentes, etc.), les différents intervenants me disaient qu’à « l’œil », et ils avaient l’habitude, ils ne pensaient pas que j’étais porteuse. J’avais beau dire que je la ressentais en moi cette maladie, ils essayaient tous de me rassurer.

Jusqu’au jour du verdict. J’étais seule (j’ai 52 ans, célibataire, sans enfant, et sans frère et sœur), et lorsque l’on est venu me chercher dans la salle d’attente, je ne sais pas si mon instinct est très très développé, mais j’ai senti un changement dans la façon de me parler de l’infirmière référente, j’ai ressenti de la compassion de sa part. Cela va très vite dans ma tête, mais je me dis hum, hum, plutôt mauvaise nouvelle. Je suis rentrée dans le bureau du neurologue et quand j’ai vu 5 personnes différentes devant moi que j’avais déjà rencontrées lors des RV, j’ai eu comme un grand vide, comme si mon corps s’était détaché de mon esprit. Ces moments sont inscrits dans ma mémoire à jamais. Je m’y revois. Je ferme la porte derrière moi, j’ai juste le temps de m’asseoir, je ne sais pas qui regarder, c’est le neurologue qui parle et qui me dit « j’ai une mauvaise nouvelle », vous êtes porteuse de la MH. Le trou noir, même si je me souviens de tout, de mon ressenti, de mes pensées. On ne vit pas beaucoup de moments comme celui-là dans sa vie. Le RV doit durer 1/4 ou 1/2 heure, je ne sais plus rien. On parle autour de moi, je m’entends parler aussi, poser des questions pour me rassurer, peut-être que pour moi ce sera différent, mais non… Des larmes coulent en silence. Le neurologue finit par conclure le RV. L’infirmière référente me prend en charge, me demande si je veux prendre une collation. J’accepte toujours dans le brouillard. Nous allons donc dans une petite salle, nous prenons un café, je pleure encore, mais rapidement, il me semble me réveiller d’un rêve. Ça y est, je sais. Cela ne voit pas encore physiquement, pas trop j’espère. Je décide de garder l’information pour moi. Je ne veux pas que mon entourage proche soit informé. Ma mère notamment qui a déjà soigné mon père et qui m’a mise au monde avec cette MH. A l’heure actuelle, elle ne sait toujours pas, mais quelques personnes autour de moi sont au courant.

Voilà, je suis porteuse, mais je crois que je me suis égarée. Comme vous avez dû vous rendre compte, je suis un peu bavarde, en tout cas sur papier, beaucoup moins dans la vie. Comme je l’ai déjà dit à Stéphanie, je suis solitaire, sauvage, et curieuse de tout. Et je revendique ces qualités et ces défauts à la fois. Je ne voudrais pas être différente.

Je ne connais pas la teneur de votre proximité avec Stéphanie, mais j’aimerais bien en savoir davantage surtout vous, sur l’association, sur les attentes. Je suis partagée entre 2 avis :

  1. La MH, on n’y peut rien, quand elle est là, elle est là, on la subit, nos facultés physiques et psychiques se détériorent inexorablement, sans que l’on ne puisse rien faire.

  2. Avec des associations comme les vôtres, les psychologues, les médecins qualifiés (quand on a la chance de tomber sur des médecins qui sont à l’écoute des patients), des amis fidèles et sincères (très peu pour moi, mais ceux que j’ai sont bien) j’ai envie de repousser l’échéance ; une petite bagarre entre moi et moi. Essayer de me donner les moyens d’aller un peu mieux dans l’immédiat, et à l’avenir aussi quand le physique et le psychique lâcheront complètement.

Vous savez, nous sommes le 25 septembre 2012, et mon papa est décédé le (…) septembre 1997. 15 ans sans qu’il ne se passe une journée qui me rappelle un moment, un mot, une image de papa ; même si vous l’avez lu, il n’était pas très causant, ni très démonstratif, et pourtant…

Voilà, je vais vous dire comme à Stéphanie, excusez-moi d’avance pour les fautes ; je ne prends pas le temps de relire, j’envoie direct. J’ai dit aussi à Stéphanie que peut-être parfois, je pouvais m’égarer, il faudra me le dire, j’essaierai de rectifier le tir.

Juste une question, où habitez-vous ?

Voilà je me suis encore laissée emporter à écrire. Mais qu’est-ce que cela fait du bien. Parfois avec Stéphanie, j’écrivais des moments à vivre très difficiles, mais le soir, j’avais un sentiment presque de légèreté. J’étais contente d’avoir partagé ces moments avec quelqu’un.

Cette fois, je crois que je vais vous laisser pour ce midi. Je vous remercie de me tenir au courant pour le tutoiement ou le vouvoiement ; je ne serai pas vexée ni dans un sens, ni dans l’autre.

Cordialement et à bientôt.

Angèle

25 septembre 2012, Alice à Angèle,

Chère Angèle,

(…) Stéphanie est l’une de mes meilleures amies. On est très proches, elle était là pour mon test. Je te raconterai. Bien sûr, envoie à nous deux tes textes, ça formera un joli triangle. Merci pour ton si bouleversant récit à nouveau… comme tu vois, le « tu » me va vraiment mieux à moi aussi. Je reprendrai ton e-mail demain et te raconterai à mon tour. (…) Je te souhaite une très belle journée, ça me fait vraiment plaisir d’engager cette jolie conversation, même si ou justement parce que je suis loin!

Bien à toi

À demain A.

25 septembre 2012, Angèle à Stéphanie et Alice.

Bonjour et bonsoir, cela dépend

Vous me faites rêver toutes les 2. L’une à S., l’autre à Cassis ; et moi à C. , c’est gris, il pleut, il fait froid. J’ai mal aux pieds, je n’ai plus l’habitude de porter des chaussures fermées.

Ce que je voulais vous dire à toutes les 2 c’est que certes je suis porteuse de la MH, la vie n’est pas tous les jours facile, je suis suivie par différents spécialistes pour essayer d’aller mieux de tous les côtés. Il y a des jours où je vais bien, d’autres jours où c’est la cata, les grands eaux toute la journée. Et puis ça repart.

Je me surnomme souvent « Angèle qui rit » et « Angèle qui pleure » ; mais je me soigne, j’essaie de maîtriser, mais ce n’est pas facile.

Ce que je veux dire et que je tiens à préciser, c’est que certes la situation est dramatique, la maladie est terrible, l’avenir eh bien il est très incertain, mais cela m’arrive d’être bien, de rire, de plaisanter, de prendre du plaisir à observer tout autour de moi, de lire, de m’intéresser au monde qui m’entoure, au cinéma, à l’art. J’apprécie beaucoup les petites choses de la vie. J’essaie de voir le bon côté. Pas facile, mais il faut rester le plus possible positive. (En ce qui me concerne ce n’est pas toujours le cas, mais j’y travaille.)

Je ne sais plus qui a dit : « Je m’empresse de rire de tout, de peur d’avoir à en pleurer » ; je trouve que cela me va bien, je m’efforce de l’appliquer. C’est extrait du Barbier de Séville de Beaumarchais. Merci Google.

Je vous laisse pour ce soir.

A bientôt.

Amicalement.

Angèle

25 septembre 2012, Stéphanie à Angèle et à Alice.

Merci Angèle !! Bon tu sais aujourd’hui il a plu a Cassis, ça sentait l’automne, l’air était doux mais très humide. Voici une photo vue de ma terrasse, je l’aime beaucoup.

Pensées ++ à vous deux, Stéphanie

26 septembre 2012, Alice à Stéphanie et à Angèle.

Chez moi aussi, il pleut! Ça rafraîchit l’atmosphère. Mon frangipanier a l’air de hausser les épaules, comme pour dire : il pleut, oui, et alors ? Le jour ne veut pas se lever. Les journées de pluie comme celles-là, j’aime bien, ça me donne une superbe excuse pour rester en pyjama toute la journée et écrire couchée dans mon lit.

Je vous embrasse et vous dis à plus tard

A.

26 septembre 2012, Alice à Angèle.

Chère Angèle, Je t’écris seulement à toi car Stéphanie connaît déjà bien mon histoire, pour m’avoir suivie, accompagnée et soutenue tout ce temps…

L’histoire de ton test me touche tant, j’y retrouve beaucoup de choses.

Par où commencer…

J’aurai 40 ans cette année. Je n’ai pas d’enfant, et je suis avec mon compagnon depuis à peine un an. La première fois que j’ai entendu le nom de maladie de Huntington, c’était en 2005. C’est seulement à ce moment-là que j’ai su que notre propre maman (j’ai deux grandes sœurs, c’est pourquoi souvent je dis nous pour dire nous-trois) avait cette maladie. On se doutait très fort qu’il y avait un problème mais on ignorait lequel, car notre mère nous a caché l’existence de cette maladie depuis le début. Or, en 2005, ça faisait déjà une bonne dizaine d’années qu’on la trouvait très changée. Elle était très souvent super nerveuse, agressive, triste, et puis elle titubait pas mal et articulait bizarrement. On se disait qu’elle faisait une dépression, qu’elle buvait trop, qu’elle vieillissait mal et que son caractère devenait de plus en plus irascible. On était complètement à côté. Mais comment pouvions nous deviner ? Au bout d’un moment, on s’est dit qu’elle devait avoir un problème neuro (moi j’ai fait des études de psycho et pendant les cours de neurologie, je reconnaissais tout le temps ma mère dans les cours sur les maladies neurodégénératives). Mais elle éludait le sujet quand on essayait d’en parler avec elle. En 2005, en discutant avec d’autres membres de la famille, on a fini par deviner. Là le monde s’est écroulé sous nos pieds. On ne savait pas trop bien comment dire à notre mère qu’on savait pour sa maladie, et c’est Jeanne, ma sœur du milieu, qui a pris le taureau par les cornes. Ça s’est super bien passé et en fait, à partir du moment où elle a vu qu’on ne lui en voulait pas (elle était terrorisée à l’idée de nous faire du mal en le disant, et puis je crois que c’était sa manière à elle de nous protéger contre ce terrible danger. Mes sœurs avaient par ailleurs eu chacune deux enfants…), son comportement s’est beaucoup amélioré. Elle était plus détendue, on a pu se dire tant de choses à partir de ce moment-là. Comme si un voile était levé, qui nous empêchait depuis des années de parler sincèrement. Je me suis mise vraiment à aimer mieux ma mère à partir de ce moment-là, parce que je comprenais ce qui lui arrivait. Jusqu’alors, j’avais vraiment du mal avec sa violence, mais à partir du jour où j’ai su qu’elle avait cette maladie et qu’elle nous l’avait cachée tout ce temps, j’ai certes eu beaucoup de peine pour elle, mais j’ai pu enfin avoir une belle relation avec elle. Une relation authentique et beaucoup moins tendue. Je la trouve incroyablement courageuse. C’est son père, mon grand-père, qui lui a transmis la maladie. Il ne lui a dit que très tard, alors qu’elle avait déjà une cinquantaine d’années. À ce moment là, elle avait justement commencé à se sentir bizarre, elle avait des coups de déprime monumentaux. Elle est allée faire le test et a mis deux ans à aller chercher le résultat ! Quand je pense qu’elle a été seule pour aller le chercher, comme toi, ça me rend malade. C’est tellement, tellement dur ce moment-là…

Moi, à partir du moment où j’ai su que ma mère avait cette maladie et que mes sœurs et moi avions 50% de possibilité de l’avoir également, j’ai voulu savoir quasi immédiatement. À l’époque j’avais 32 ans, j’étais célibataire. J’ai réfléchi dans tous les sens, je trouvais ça affreux comme décision, mais je sentais que je ne pourrais pas tenir sans connaître « la vérité ». En même temps, je ne sais pourquoi, c’est idiot, mais j’étais persuadée que je ne l’avais pas. Du coup je faisais le test pour me débarrasser de la maladie. Du coup, je me suis pas mal préparée, mais pas tellement à accueillir une mauvaise nouvelle. J’ai trouvé mes interlocuteurs de l’hôpital complètement à côté de la plaque, ils ne faisaient que me terroriser. J’ai écrit un texte très en colère là-dessus qui est sur notre site et qui s’appelle le Manifeste de Dingdingdong.

Tout du long, j’ai veillé à être accompagnée par mes amies, Alexandra et Stéphanie. Je ne voulais jamais être seule lorsque je rencontrais les médecins. Je ne mangeais plus et ne dormais plus non plus, j’arrêtais pas de réfléchir, ça partait dans tous les sens. Heureusement, j’avais un bon psy personnel qui m’a vachement bien accompagnée. Le résultat du test a duré un quart d’heure. À moi aussi, la neuro a dit qu’elle ne s’attendait pas à me donner un « mauvais » résultat parce qu’elle avait l’habitude de deviner les porteurs et qu’elle n’avait rien deviné de tel pour moi. Quand j’ai su le résultat, le ciel s’est dérobé. Mais je n’ai pas déprimé tout de suite. J’ai d’abord eu une réaction très excitée. Je voulais trouver LA solution à ce problème que j’ai tout de suite perçu comme existentiel plus que médical.

Ma grande sœur Violette a fait le test trois mois après, qui est négatif, Dieu merci. Je m’attendais à être si heureuse mais en fait je me suis sentie aussi très mal, et c’était vraiment difficile à vivre l’intensité de ces émotions contradictoires. Heureusement avec mes sœurs on parle beaucoup et Jeanne et Violette ont vraiment bien compris ce que je pouvais ressentir. Quant à ma sœur Jeanne, elle a décidé qu’elle ne ferait pas le test. Elle a dit qu’elle ne pourrait pas supporter le résultat s’il était mauvais. J’ai été plutôt soulagée car en effet, elle a des enfants, et vue ma propre réaction (j’ai arrêté de bosser, j’ai fini par faire une grosse dépression, etc.), je redoutais énormément qu’elle le fasse de peur qu’elle n’arrive pas à s’en remettre si jamais le test était positif. Jusqu’à présent elle ne revient pas sur sa décision, disant juste que si un jour elle sent qu’elle a vraiment quelque chose d’anormal, elle ira le faire. Elle a 44 ans et elle va tout à fait bien, Dieu merci.

J’ai mis vraiment très longtemps à me remettre du test. J’ai eu l’impression d’avoir chopé non pas vraiment la MH à ce moment-là mais une peur tétanisante, celle de la MH. J’ai beaucoup de chance car depuis toujours, j’écris. Ecrire me sauve régulièrement du désespoir et cette fois, c’est aussi en écrivant que je m’en suis sortie. J’ai décidé que l’écriture allait m’accompagner dans cette aventure. L’écriture a été le moyen d’aborder les choses en ouvrant grand les yeux. J’ai écrit de la fiction pour que mes personnages puissent poser pour moi les questions les plus rudes, les plus brûlantes, et qu’ils puissent enquêter partout pour essayer d’avoir des réponses. Pour explorer poétiquement tout cela. Et depuis, ces personnages ne cessent de me protéger tout en ne me ménageant pas. Ils veulent toujours connaître plus loin les choses sombres de la MH, mais aussi les belles choses, car je sais qu’il y en a. Mon caractère spontané, depuis toujours, et ça c’est ma mère qui me l’a appris, me pousse à regarder ce que l’on gagne dans la vie, pas ce que l’on perd. J’étais quelqu’un d’extraordinairement angoissé. J’avais même des troubles avérés, genre agoraphobie qui faisaient que je ne pouvais même pas rester dans une voiture, ni aller au resto ou au cinéma. Ou alors si j’y allais, il fallait que je me mette près de la sortie de secours et que je prenne du xanax ! Ces angoisses ont quasi cessé le jour où j’ai fini d’écrire mon premier roman, et elles ont totalement disparu à partir du moment où j’ai participé à la création de Dingdingdong l’année dernière. Aujourd’hui, il m’arrive bien des fois d’être inquiète, mais fondamentalement angoissée, non. Je ne recommande à personne de faire comme moi, je crois qu’en la matière, chacun sait ce qui est bon ou mauvais pour soi. Mais pour moi, ce qui est sûr c’est que j’ai besoin de garder les yeux grand ouverts et de partir en reconnaissance de ce phénomène si bizarre, la maladie de Huntington. Je sens que je l’ai depuis toujours. Ce n’est pas comme un monstre qui viendrait m’occuper peu à peu, mais elle fait partie de qui je suis. C’est pourquoi je veux vraiment faire sa connaissance. Lentement, patiemment, et sans avoir peur, parce que c’est de moi qu’il s’agit et de rien d’autre. J’ai créé l’association pour ça, pour moi-même et pour les autres qui sont touchés et qui ressentent aussi le besoin d’aborder la maladie par un autre bout que la frayeur. Je pense que la peur des médecins face à cette maladie (qui est certes terrible, mais pas seulement, qui est aussi bien d’autres choses) est contagieuse. C’est pourquoi ils ne m’apparaissent pas comme les meilleurs interlocuteurs pour m’aider.

(…) J’ai donc un destin de malade, c’est comme ça. Mais pour moi, il n’y a pas la maladie d’un côté et la vie de l’autre, au contraire : la maladie fait partie de la vie. Je crois même que la maladie, pour quelqu’un comme moi, me permet d’appréhender les choses les plus denses et profondes que la vie contient. J’ai pas mal lu là-dessus, surtout sur les écrivains et les artistes qui étaient malades et qui écrivaient de merveilleuses choses tout en étant malades. On dira ce qu’on veut, que je sublime ou que j’essaie de me consoler, moi je suis juste persuadée d’une chose : l’expérience de la maladie permet certains raccourcis et certaines intensités auxquelles on ne pourrait pas accéder autrement. En tous cas c’est ce que je pense pour moi. Un de mes philosophes préférés, Gilles Deleuze, dit dans son Abécédaire que certains artistes doivent produire parce qu’ils portent en eux quelque chose de trop gros, qui déborde leur propre vie, et que ça les pousse à en faire quelque chose sinon ils peuvent en mourir. C’est exactement ce que je ressens avec la MH et l’écriture.

Mais comme c’est difficile, bien sûr, je n’ai pas voulu m’embarquer seule dans tout cela. J’ai réuni des amis artistes comme Stéphanie et les autres, et des gens, dont certains sont des amis, dont j’admire particulièrement la pensée, pour parvenir à réaliser ce rêve dont je t’ai parlé : faire de la MH une aventure de connaissance, de création et de vie. C’est comme ça qu’est né Dingdingdong (qui correspond au son d’une belle cloche charnue, par exemple de vache, qu’on agite sous le nez de tout ce qui nous fait peur, ou quand on veut attirer l’attention !).

Voilà, moi aussi tu vois je suis bavarde ! J’ai été vraiment très franche avec toi, j’espère que tu ne seras pas choquée. J’aurais aussi plein plein de choses à te dire et à te demander, mais on ne peut pas tout dire de tout cela en une fois ! On a le temps pour continuer à discuter.

Je voudrais juste que tu saches que si tu es mal, pour une raison ou pour une autre, tu peux vraiment te confier à nous. Certes on n’est pas tout près, mais l’oreille, les yeux et le cœur, sont juste là…

Je te dis à très bientôt

Alice

27 septembre 2012, Angèle à Alice

Bonjour Alice,

J’ai lu ce matin ton témoignage sur le dépistage et je te remercie de ta confiance ; l’annonce de la maladie, ta réaction, plutôt tes différentes réactions. C’est la première fois que cela m’arrive ; on ne se connaît pas, mais j’ai eu l’impression de lire un récit de quelqu’un qui m’était très proche, limite de ma famille. Ce que je n’arrive pas à dire à ma famille, ce que je n’arrive pas à entendre aussi de leur part, tu me l’as écrit. C’est à la fois très troublant, et à la fois réconfortant. Je ne suis pas seule. Pas seule à avoir ces différents sentiments heureux ou malheureux, euphoriques parfois, dépressifs d’autres fois. Tu as en plus ce problème de SEP. Tu n’as vraiment pas de chance.

Par rapport à ton témoignage, je pense que l’on a ressenti souvent les mêmes impressions, mais à des moments différents du dépistage. C’est très curieux ce croisement des sentiments. Je sais ce que tu as vécu. J’ai des difficultés ce matin à m’exprimer, mais c’est très fort dans mon esprit.

Mis à part ta famille, connais-tu d’autres personnes qui sont atteintes de la MH ? Je crois que tu es la 1ère (en dehors de ma famille) que je connais.

Je ne vais pas tarder à reprendre mon récit que je vous transmettrai à Stéphanie et à toi. Des bons moments, et aussi encore malheureusement d’autres drames (je te rassure, mon papa est décédé de mort naturelle). J’ai l’impression que je suis plus à l’aise quand je raconte les mauvais moments liés à la MH que lorsqu’il faut raconter mes petits bonheurs, mais il y en a, heureusement ; je pense que c’est parce ce que je sais les apprécier que je tiens autant à la vie.

Ce matin, j’ai reçu la visite d’une amie (elle ignore la MH) ; cela m’a fait plaisir. Il est presque 14 heures et je vais sortir faire quelques courses, prendre l’air. Je suis fan de basket et je vis dans une ville de basket et ce soir, 1er match amical à C. et on va découvrir la nouvelle équipe. Donc bonne soirée en perspective. C’est sûrement spécial pour une femme, mais j’aime beaucoup le sport, surtout maintenant le regarder à la TV ou se déplacer dans les salles.

Je te souhaite une bonne soirée.

Amicalement et à bientôt.

Angèle

27 septembre 2012, Alice à Angèle.

Chère Angèle,

Je suis heureuse que mon témoignage trouve autant d’échos en toi. La MH produit pour chaque famille et pour chaque personne des choses super différentes, selon nos histoires et nos expériences, mais ça n’enlève pas que nous partageons quelque chose fondamentalement de commun, d’indicible et de commun. Ça fait de nous une espèce de confrérie secrète!

Ça m’avait fait exactement le même effet lorsque j’ai rencontré une autre porteuse, il y a quelques années, que je viens de revoir d’ailleurs, qui s’appelle B. Elle avait fait le test deux ans avant moi et je l’avais contactée via le forum de Michelle. Ça m’avait fait un bien fou de pouvoir lui parler, mais aussi de l’écouter. C’était comme ma grande sœur huntingtonienne parce qu’elle était passée par certains des états où je me trouvais alors, mais comme elle se trouvait « deux ans avant moi », elle me rassurait beaucoup en me disant que j’allais pouvoir continuer de vivre ma vie malgré tout. Nous ne nous sommes vues qu’une fois, puis plus rien pendant 4 ans, puis, avec mon projet, on a repris contact… Elle est toujours aussi mignonne et courageuse, délicate, discrète, positive. Tu l’aimerais beaucoup. À part ça j’ai rencontré des personnes à-risques qui ne sont pas porteuses, comme Laetitia Carton qui a fait un documentaire bouleversant sur la MH qui s’appelle La Pieuvre. Et puis, en septembre je suis allée à Stockholm au grand Congrès européen sur la MH. C’était la première fois que j’allais dans ce genre de congrès et j’y allais pour présenter le projet Dingdingdong. J’ai surtout rencontré des proches de malades mais aussi quelques porteurs, dont Charles Sabine, un Anglais incroyable qui a été toute sa vie grand reporter de guerre pour la chaîne américaine NBC et qui a appris en 2003 qu’il était porteur. Depuis il a arrêté son job de reporter de guerre et est devenu une sorte de reporter/porte parole de la MH. Il sillonne le monde et cherche à faire changer les choses, les représentations de la maladie et d’autres choses très concrètes comme certaines lois. Il a vraiment la pêche et il a prononcé un discours magnifique à Stockholm. Je ne sais pas si tu lis l’anglais. Je suis en train d’essayer d’en traduire des passages mais c’est long… Si tu lis l’anglais, je peux te l’envoyer quand tu voudras.

Il ne faut pas que tu hésites à me dire si je ne suis pas claire dans mes raisonnements, souvent je zigzague dans tous les sens, mais c’est important pour moi d’être comprise. Ne te retiens jamais de me dire quand tu ne comprends pas ce que je raconte !

Et c’est joli parce que moi aussi j’ai un très grand faible pour Roland Garros à la TV et je le regarde souvent avec ma mère qui adore aussi. Il y a quelque chose de magique dans ce tournoi qui est si beau, avec ce son si particulier qui a pour moi le goût du début de l’été. Et figure-toi que les fenêtres de ma cuisine donnent sur un terrain de basket ! Il y a des joueurs qui s’entraînent là jusqu’à 23 h tous les soirs et j’aime beaucoup les entendre et les regarder en fumant une petite cigarette.

Je te laisse pour l’instant et te souhaite une très très belle journée,

Bien à toi

Alice

27 septembre 2012, d’Angèle à Alice et à Stéphanie.

Bonjour Stéphanie, Bonjour Alice,

Je reprends mon récit ; je vais revenir un peu en arrière pour expliquer que j’ai toujours été obsédée par la MH depuis ma plus petite enfance, mais j’ai aussi vécu presque normalement, comme une petite fille, comme une ado et la plupart du temps comme une femme somme toute assez classique.

Enfant, j’étais casse-cou, un vrai garçon manqué, toujours en mouvement. Toujours à parler, et bla et bla et bla. Une vraie pipelette avec des jeux de garçons. Ma maman travaillait, mais me couvait le reste du temps. De l’amour, de l’amour et toujours de l’amour de sa part. Rien à changer, maman tu as été parfaite. Quand j’étais petite aux alentours de 10 ans, j’imaginais mon avenir en mère de famille. Moi qui étais fille unique, j’en voulais des enfants et 4 ou 5 ou plus. J’en voulais (contradictoire avec mon statut de garçon manqué).

Ma nourrice habitait dans la même rue que moi donc très facile pour mes parents. Et ma nourrice que j’appelle Mamie avait 6 enfants plus âgés que moi, mais cela me permettait d’avoir des contacts avec d’autres enfants et notamment avec le plus jeune des fils C. qui avait 2 ans de plus que moi et avec qui j’étais très liée. Je le suivais partout. Il construisait une voiture en bois qui roulait et j’étais la première à l’essayer. Que de bons souvenirs chez mamie. (Pour la petite histoire, C. s’est marié très jeune à 19 ans, j’étais sa demoiselle d’honneur, et sa femme gentille par ailleurs a déclaré une jalousie de notre passé commun avec son mari, de notre complicité, de notre amitié et depuis ce mariage, c’est à peine si l’on se parle. On se dit bonjour avec C. mais on s’interdit de parler davantage pour ne pas fâcher. C’est passé maintenant, je l’accepte, mais sur le moment, cela m’a fait de la peine de m’éloigner de mon ami).

En plus dans le quartier, il y avait des enfants de mon âge et on s’amusait tous les soirs ou pendant les vacances. Très bons moments.

Quand je deviens ado, bien sûr je vais toujours à l’école catho sans garçon. Donc, je ne suis pas très en avance côté flirt avec les garçons. Ceux de mon quartier sont mes copains sans plus. J’ai eu 1 ou 2 flirts un peu plus tard, mais rien de plus ; je ne suis pas pressée. Je termine mes petites études. A la base, je suis secrétaire classique, mais je suis devenue comptable en apprenant sur le tas en entreprise vers mes 30 ans. L’entreprise dans laquelle je suis embauchée n’a pas de comptable. Je rentre en tant que secrétaire, et je me propose pour apprendre et occuper le poste de comptable. Ce que j’ai fait. J’étais secrétaire comptable ; de moins en moins secrétaire et de plus en plus comptable, et j’aimais ce poste. Bon l’entreprise au début tout va bien, mais au fur et à mesure, nous avons affaire à un couple de patrons qui est devenu un peu moins sympa. Mais c’est souvent la triste vie de l’entreprise.

A 20 ans, je rencontre un homme de 25 ans. Cette fois, c’est un peu plus sérieux. J’y crois, je suis très fleur bleue. C’est sûrement l’homme de ma vie. Bon c’est raté. Il me laisse un goût assez amer dans ma vie. Pas grave, on continue ; j’ai quelques copains, j’en rencontre d’autres. Ça va et ça vient, toujours en tant que simple copain.

A 23 ans, LA RENCONTRE. De la même manière, j’ai toujours senti que j’étais porteuse de la MH, j’ai su à la première rencontre que celui-là serait important dans ma vie. Je le teste, mon cœur bat très fort quand je le vois mais je le fais attendre et il attend, il est patient. Une fois que j’avais bien réfléchi, je me suis lancée dans cette aventure amoureuse. Je vivais en parallèle la MH chez papa, je le soutenais et je vivais heureuse avec mon ami. Quelqu’un de super tendre, patient, à mon écoute, bref presque l’homme parfait, sauf, sauf… Donc bien se remettre dans le contexte, d’un côté la MH, de l’autre ma vie avec T. J’ai eu envie la première d’avoir un enfant. Un petit détail mon ami avait eu une vie avant moi et avait une petite fille, sans être marié. Donc il était un peu moins pressé que moi. Très grand bonheur les premières années, rien à dire, j’en garde un souvenir extraordinaire. Au bout de quelques années, ma demande d’enfant a provoqué quelques tensions entre nous. Mais toujours bien avec lui.

Et puis la maladie de papa avançant, j’ai commencé à ruminer dans ma tête; Je suis persuadée de l’avoir également, je la sens en moi, papa de + en + malade. Une décision va s’imposer un jour d’une manière évidente. Moi qui voulais, qui rêvais d’enfants, et bien non il ne fallait pas. Je ne voulais pas reproduire chez un enfant la souffrance que j’avais vécue enfant avec ma GM et que je vivais avec papa.

A partir du moment où j’ai pris cette décision, je n’ai jamais souffert de ne pas avoir d’enfant. Limite, je me suis éloignée des enfants. J’ai trouvé plein de défauts à vivre avec des enfants. C’était ma façon de me protéger. Et aujourd’hui encore maintenant que je sais que je suis porteuse, je ne regrette pas ma décision, mais j’aime bien les enfants quand même.

Je suis toujours avec T. Je lui cache à lui aussi la gravité de la maladie de papa, le risque d’hérédité, et ma décision de ne pas faire d’enfant. Mais cette décision sans que je le veuille vraiment va casser quelque chose entre nous deux. Nous sommes toujours ensemble mais ce n’est plus pareil. On commence à se chamailler et à parler de se quitter. Et là pendant 2 ans, on se quitte, on se retrouve, on se requitte et on se retrouve. C’était presque un jeu. Je n’ai pas souffert de cette situation, mes sentiments commençaient à s’estomper. Jusqu’à la fin, on ne s’est rendu compte de rien, un jour c’était terminé pour moi. On est resté très longtemps en contact. Lui en demande beaucoup plus que moi, c’était terminé, mais je conserve un très bon souvenir de notre aventure.

J’avais 32 ans et je rejoins les récits précédents, mon père est hospitalisé pour la première fois. J’ai décidé de me consacrer à mon père et à seconder ma mère pour que mon père puisse rester le + longtemps possible à la maison.

Cette fois, on est organisés. Des aide-soignantes viennent tous les matins faire la toilette et l’habiller. Une aide-ménagère, Francine, vient au début 3 fois par semaine à la maison pour aider, s’occuper de papa et pour permettre à maman de pouvoir sortir. Sa chambre est équipée d’un lit médical, un fauteuil pour la TV et lire encore un petit peu son journal.

Pendant 2 ou 3 ans, son état se stabilise légèrement. Il est redevenu gentil, sociable, parfois drôle. Il finit par se dégrader petit à petit mais on continue à gérer. C’est dur pour moi, encore plus pour maman, mais aussi quel bonheur ces moments passés avec mon père, j’essaie de lui faire des choses en s’amusant. J’essaie de le faire rire. Je n’arrête pas de lui dire que je l’aime en rigolant, mais je lui dis. Je suis utile à quelqu’un. Il ne veut pas aller en maison de retraite, nous ferons le maximum avec maman pour qu’il n’y aille pas.

Evidemment, doucement, sans nous prévenir, cette maladie finit par prendre le dessus. Il redevient agressif avec nous, les infirmières, les aides-soignantes. Au début, c’est quelques fois par semaine, puis par jour. A nouveau hospitalisation et je me remets en première ligne à l’hosto. On s’adresse à moi et à personne d’autre. Je veux m’occuper de tout avec le corps médical. Je me souviens d’un jour, ma mère grippée et alitée à la maison depuis quelques jours, et j’essaie d’être partout, mais je craque au bureau, et je pleure sans pouvoir m’arrêter. Au bout d’une 1/2 heure, ma responsable me dit de repartir chez moi. Je rentre, je me couche sous la couette et je pleure, je ne peux même pas dormir, je pleure. A midi, je dois retourner près de papa pour le faire déjeuner et je pleure toujours. Une infirmière passant par là me prend en pitié, me parle et me demande si je veux rencontrer l’interne responsable du service. Ah oui, je veux bien tout ce que vous voulez. Je ne suis pas capable d’avoir des avis propres. Me voilà dans le bureau du médecin qui me dit : « Est-ce que vous savez de quelle maladie souffre votre père ? » Eh bien oui je sais, et « est-ce que vous connaissez l’évolution de cette maladie ? » Eh bien oui, je sais, j’ai vu ma GM et j’ai mon père sous les yeux tous les jours. Oui, je sais Messieurs les médecins. Et je sors du bureau, cela m’a suffi. Je suis repartie dans la chambre de mon père qui boudait et qui s’inquiétait de ne plus voir maman. Je crois que c’est une des seules fois où j’ai eu le sentiment d’être complètement dépassée. Au secours, je suis en train de perdre pied. Pour finir l’histoire, ma mère n’a pas attendu d’être guérie pour revenir voir papa. Malgré la maladie et le caractère de papa, ils étaient perdus l’un sans l’autre.

Ce que je reproche aussi au personnel hospitalier, surtout les infirmières, c’est que papa était à peine entré à l’hôpital qu’il voulait nous réserver une chambre dans une maison de retraite. Et quand la responsable me posait la question au début du séjour, à chaque fois, j’étais assez désagréable, et je passais le reste de l’hospitalisation à l’ignorer dans les couloirs de l’hôpital.

J’ai bien avancé dans mon récit, la prochaine étape ne sera pas très gaie. Comme vous voyez sur le papier beaucoup de mauvais moments, mais quand je les ai vécus, j’ai essayé de relativiser et de me dire qu’il y avait des situations dans le monde, et autour de moi qui étaient pires que la mienne. Tout est relatif. A travers ces mauvais moments se glissaient parfois un petit bonheur, des petites et des grandes joies, des petits « miracles ». Il fallait bien les chercher et je les trouvais (quelques soutiens d’amis que j’ai hélas un peu perdus de vue, merci C., S., Y. et M.…) un livre, un film, un petit moment passé sur la côte sauvage, le sport que mon père m’a fait apprécier, etc.). Je plains les personnes qui ne sont pas capables de les remarquer ces bons moments.

Je crois que je vais aller me reposer, je suis vidée mais bien.

Je vous embrasse et je vous souhaite une bonne fin de journée ou une bonne soirée. C’est au choix.

Cordialement.

Angèle

30 septembre 2012, Alice à Angèle et à Stéphanie.

Merci Stéphanie pour les bougies… j’aperçois d’ici leurs jolies petites flammes.

On est dans ton « petit coin » avec toi Angèle. Dans le repos et la paix de ton papa, dans votre amour l’un pour l’autre. Mais aussi dans l’amour de ta maman.

J’aimerais à présent te dire une chose qui est très délicate à dire. Ce n’est pas mon intention que de te faire de la peine, et si c’est le cas, je te prie à l’avance de m’en excuser… Quand je pense à ton histoire, je me dis que tu es comme une mère pour ta maman, ces temps-ci, en la protégeant comme tu le fais de ton secret. Dans votre histoire, vous êtes comme deux mamans qui se fondent chacune grâce à l’autre, tour à tour. C’est très beau, si saturé d’amour, presque sacré.

Je sais, pour l’avoir vécu, à quel point il est quasi impossible de dire à ses proches que l’on porte la maladie. À quel point on ressent le besoin presque magique de protéger ceux qu’on aime de leur propre chagrin… mais ta maman est là pour te soutenir, pour t’accompagner, pour te protéger. Ne lui épargne pas cette si belle mission qui est la sienne trop longtemps, car c’est aussi ce qui donne sens à sa vie…

Non pas tant parce que tu aurais besoin d’elle, ce qui est d’ailleurs le cas malgré toutes tes forces, mais parce qu’elle a besoin de toi, sa fille, telle que tu es, pour continuer à être la maman qu’elle est : unique, comme seule la mère d’Angèle peut l’être ! De la même manière qu’elle a été l’épouse extraordinaire de ton papa : une épouse unique. Tout peut ensuite bouger, rien n’est obligé de se répéter. Ce qui s’est passé avec ton père ne sera pas ce qui se passera pour toi, ni ce qui se passera entre ta mère et toi. Tu pourras toujours garder la main là-dessus, et concevoir une nouvelle histoire, qui vous appartienne à vous deux.

Je tiens à te dire que je suis là pour en discuter et t’aider à te préparer, si tu veux… ce pourrait être de vive voix par skype, ou par mails. Si tu ne souhaites plus que j’aborde cette question, dis-le moi : je ne le ferai plus bien sûr, ne t’inquiète pas…

Je vous souhaite à vous deux une douce journée.

Alice

30 septembre 2012, Angèle à Alice.

Merci Alice,

J’en pleure de lire ton message. Tu as tout compris et je ne suis pas fâchée que tu abordes ce sujet. Je suis prête à entendre beaucoup de choses, notamment venant de toi. Sans nous connaître physiquement, nous avons un lien qui nous relie. Sans vivre la même vie, nous ressentons des sentiments, des émotions similaires.

Pendant 14 ans, nous avions des relations de mère et fille très proches, très complices et très liées par ce que l’on avait vécu avec Papa ; en tout cas plus « normalisées ».

Depuis un an ou 2 ans, c’est vrai, j’en suis consciente. Je ne suis plus trop la fille de maman. Elle me voit autrement. Quelquefois, j’inverse les rôles. Elle sait que je suis malade officiellement pour dépression grave et chronique et je redeviens petite fille avec elle. Je lui dis que j’ai besoin d’elle ; je dis toujours que je vais très bien, la très grande forme. Mais Maman sait que ce n’est pas vrai et que tout cela n’est que façade. Je me fais cajoler. De la même manière qu’avec papa, je disais des paroles en rigolant, des « je t’aime », avec maman c’est différent. On se le dit réciproquement cette fois, et parfois, ce sont des gestes tendres, des caresses. Eh oui, à 52 ans je suis encore une petite fille. A la fois la chef de famille depuis très longtemps et à la fois une petite fille.

Mais ce que je veux avant tout, c’est la protéger ; peut-être à tort et excessivement. Je ne veux pas qu’elle sache pour la MH. Je ne veux pas lui gâcher les dernières moments de sa vie, si c’est possible… Je me trompe peut-être, tu peux m’aider, mais le fait d’avoir porté un enfant qui développe une maladie aussi grave que celle qu’elle a déjà vécue avec papa, je pense que ça finira de l’assommer et plus le temps passe, plus je pense qu’elle ne peut plus entendre cette vérité.

Elle perd la mémoire, je ne souhaite pas en rajouter. Si je dois lui dire des choses qui lui font du mal, j’essaie d’éviter. Je protège, je protège.

Tu sais autrefois, on s’occupait des anciens dans les familles. Il n’était pas question de les placer dans une maison de retraite. Je ne juge pas ceux qui le font à notre époque ; chacun fait comme il peut. Mais, j’essaie dans les mesures de mes petits moyens de garder maman près de moi. J’aurai sûrement l’occasion de t’en reparler, mais actuellement, le sujet grave, c’est elle bien sûr. Je me renseigne à droite et à gauche pour essayer de me soulager parce qu’elle demande beaucoup d’attentions. Mais, qu’est-ce que l’on me répond ? Il faut d’ores et déjà envisager son placement en maison de retraite.

Ce n’est pas ce que je demande. Je demande que l’on m’aide à supporter cette nouvelle situation. Je souhaite déléguer un peu notamment à A., « l’aide-ménagère » de maman, c’est plutôt sa femme de compagnie. Nous sommes tombées sur quelqu’un de très bien ; elle m’est d’un grand secours. Vendredi après-midi, c’est sur son épaule que je m’épanchais.

Je sais que tout ce que je vis n’est pas dans l’ordre des choses. Je suis un vrai cas « bizarroïde », rempli de paradoxes. Mais je fais et j’agis selon mes idées. C’était parfois lourd d’avoir la main sur ma famille mais avec le recul, heureusement, ma vie n’a pas été complètement inutile grâce à cela.

Je n’ai pas ton esprit d’analyse, je suis davantage instinctive. La vie n’est pas facile mais j’essaie de l’apprécier le plus possible à travers les gouttes.

Mais tu as raison ; tu me fais prendre conscience que je suis allée un peu loin, je la surprotège. Je vais essayer gentiment de la responsabiliser à nouveau à certaines choses pour qu’elle reprenne un peu sa place de maman.

Et toi avec ta maman, comment cela se passe-t-il ? Elle sait que tu es porteuse du gène et si oui, comment réagit-elle ?

C’est tellement étrange pour moi qui suis pourtant suivie par une psychiatre régulièrement que tu aies tout de suite découvert mes forces et mes faiblesses. C’est troublant.

Je te remercie vraiment ; tu n’imagines pas ce que vous m’apportez toutes les 2. Déjà le fait d’écrire et de raconter cette MH, et puis tout le reste. Je te remercie encore.

Je te souhaite une bonne journée de lundi maintenant et à bientôt.

Angèle

1er octobre 2012, Angèle à Stéphanie et à Alice.

Bonjour Stéphanie, Bonjour Alice,

Je reprends la suite de mon récit :

Les mois et les années passent. C’est de + en + dur. Aussi bien physiquement que moralement. Encore plus dur pour ma mère qui est presque 24/24 avec lui. La nuit, près de papa dans son grand lit, elle se retient de dormir pour l’entendre respirer. Moi-même, le matin, lorsque je pars travailler le matin à 7 h 30, je m’approche du lit de mon père, je l’observe rapidement et le touche délicatement comme si c’était peut-être la dernière fois. Petit aparté : sa sœur ainée atteinte aussi par la MH décède de mort naturelle en 1995.

Une autre de ses sœurs plus jeune que papa se suicide en 1996 en se noyant. Elle n’a pas fait le test, mais elle était très dépressive et était « marquée » sur son visage, me semble-t-il ?

Ça n’a jamais été confirmé, mais elle se tue. C’était une des sœurs que papa préférait. Elle ne l’a jamais laissé tomber, elle est toujours venue à la maison avec mon oncle. Gros choc émotionnel pour papa, maman et moi. J’ai failli défoncer une porte en bois quand j’ai appris la nouvelle.

Mon père était le 3ème enfant de la famille et j’ai dû en parler au tout début, il était très proche de son frère juste au-dessus de lui. Il n’avait qu’un an d’écart et ils étaient toujours ensemble. Moi-même, évidemment, j’étais très proche de leurs 2 enfants.

Cet oncle nous a lâchés quand mon père a déclaré la MH. Lui n’était pas porteur et il avait déjà vécu la maladie de sa mère et ne voulait pas la revivre avec mon père. Papa ne comprenait pas pourquoi son frère ne venait plus le voir. En plus, il nous a fallu le deviner car bien sûr il ne nous l’a pas dit en face.

J’ai fait très vite une croix sur cet oncle. Pourtant j’étais très proche de sa famille. Il ne voulait plus voir son frère, et bien moi je n’avais plus d’oncle. Nous n’avons plus revu mon oncle du vivant de mon père.

Pour mon père et ma mère, cela a été bien plus compliqué. Ma mère encore aujourd’hui lui en veut (bon il est décédé en 2010 à l’âge de 80 ans, cela atténue un peu les rancœurs). Mais j’ai pris une bonne gifle. Il y a des maladies nobles et d’autres un peu moins, et dans notre famille paternelle, c’est un peu chacun pour soi. Tant pis pour celui sur qui cela tombe.

Tout cela pour expliquer les ravages dans une famille. Maladie taboue.

Nous sommes toutes les 2 à la limite. Encore aujourd’hui, je ne sais pas où l’on a trouvé la force pour y arriver. Je n’en parle pas à maman, mais je souhaite secrètement que cela ne s’éternise pas trop longtemps. Je suis partagée. Bien sûr, il est vivant, mais dans quel état. « J’aimerais » le trouver un matin sans vie, qu’il parte sans souffrir dans son sommeil.

Suite très bientôt, demain ou après demain.

Je vous embrasse et pense très fort à vous.

Angèle

2 octobre 2012, Alice à Angèle.

Chère Angèle, merci pour ton mail qui est si important et courageux…

Quand tu m’expliques ainsi pour ta maman, je comprends tu sais. Ça me rappelle ma propre maman qui n’a pas voulu dire qu’elle était malade à sa mère, ma grand-mère. Elle se demandait vraiment quoi faire, parce qu’en même temps ça l’embêtait de ne pas le partager avec sa mère, mais ma GM avait près de 85 ans et elle était super malade à la fin (pas de Huntington de ce côté-là, de Parkinson !). Alors finalement, elle a trouvé un compromis. Elle lui a écrit une lettre pour tout lui raconter, qu’elle a gardée avec elle sans la lui donner, et le jour où sa maman est morte, elle a glissé la lettre dans le cercueil.

Je ne t’écris pas cela pour te dire de faire la même chose, hein ! Mais c’est toujours intéressant de voir ce qu’on fait chacun, à partir de nos histoires qui se ressemblent et qui en même temps sont si différentes, il n’y a pas une vie pareille que l’autre… ça me bouleverse chaque fois autant de le constater.

En ce qui concerne le fait de le dire ou de ne pas le dire, j’ai envie de te dire : un jour, tu le sentiras. Ça te viendra spontanément. En attendant, n’hésite pas à m’écrire, à nous écrire à Steph et à moi, pour partager tes sentiments à ce sujet, tes doutes, tes inquiétudes. C’est important de bien décanter les choses, de ne pas ruminer toute seule.

Et puis profite à fond de votre amour extraordinaire.

Tu es en train de réaliser une merveilleuse chose en permettant qu’elle reste ainsi chez elle, c’est du grand art, de nos jours, d’y arriver ! De la grande résistance ! Moi je dis chapeau. C’est génial que tu aies cette aide-ménagère, appuie-toi à fond sur elle. Ce sont nos trésors ces femmes, quand elles sont bien comme celle ci.

Je te remercie aussi pour la suite de ton récit. J’espère que ça n’est pas trop lourd pour toi d’écrire toutes ces choses. Ecoute-toi surtout et fais à ton rythme, d’accord ? Vas-y tout doux avec toi même : c’est la première des priorités.

Je te souhaite une excellente journée et te fais une grosse bise

Alice

2 octobre 2012, Angèle à Alice et à Stéphanie.

Bonjour Alice, Bonjour Stéphanie,

Alice, je te remercie de ton message chaleureux. Stéphanie, ta petite flamme, je l’ai tout près de moi.

Alice, tu me dis d’y aller doucement par rapport à mon récit ; j’ai fait comme tu me dis. J’ai écrit de mon côté depuis quelques semaines. Certains jours, cela sortait tout seul, d’autres jours, je n’avais rien à dire. Je faisais tout autre chose. Je n’ai rien forcé. A l’arrivée, je suis contente de l’avoir fait, c’est presque terminé de mon côté, presque ; je n’arrive pas à exprimer ce que ce je ressens. Pas de douleurs, c’est sûr, même si mon petit parcours est parsemé d’embûches surtout au niveau de tous ces décès violents et entre nous, il y en a encore 2 autres à venir. C’était douloureux sur le moment, mais je veux aussi respecter leur choix.

De la satisfaction d’avoir réussi à écrire, plutôt à m’épancher longuement sur mon parcours. Bizarrement, je suis satisfaite et fière de l’avoir fait. C’est pour cela que je vous remercie toutes les 2 de m’avoir donné cette opportunité. Cela n’a aucune valeur véritable mais je l’ai fait. J’ai réussi à mettre sur papier à la fois mon histoire et mes différentes sensations.

Ce qui me fait un peu peur, c’est que vous soyez effrayées par le côté noir de ma vie ; il ne faut pas généraliser, chaque cas est différent, et chacun vit avec la MH comme il peut. Mon parcours est plus noir écrit sur le papier que mon vécu. Je vis parfois des moments difficiles et toujours, je repars, je remonte la pente ; finalement, comme la plupart des femmes et des hommes qui m’entourent.

Alice, tu me parles du courrier que ta maman a déposé dans le cercueil de sa maman. Mais je trouve cette idée super. Je m’interrogeais beaucoup le moment venu comment laisser une trace à mes parents. Lors des obsèques de mon père, j’ai regretté de ne pas avoir déposé soit de la terre de son jardin, soit une fleur de son jardin sur son cercueil dans le caveau. J’étais déçue de ne pas y avoir pensé assez tôt. Je vais sûrement creuser l’idée du courrier.

Depuis le mois de juillet, je corresponds avec Stéphanie. J’appréhende un peu la fin, quand je n’aurai plus grand-chose à raconter. Notre correspondance intense de mon côté, va me manquer. Vous ne pouvez pas imaginer tout ce que cela m’a apporté. Enorme.

Je vous souhaite une bonne soirée à toutes les 2 et à bientôt.

5 octobre 2012, Alice à Angèle et à Stéphanie.

Chère Angèle,

Tu peux être fière de ce que tu es en train de nous écrire et de nous livrer. C’est un témoignage qui a pour moi une importance capitale. Pour Stéphanie aussi, et pour beaucoup d’autres. J’attends que tu aies fini pour te poser des questions, afin que tu puisses approfondir certaines choses qui m’intéressent. Donc n’aies pas peur : notre correspondance ne fait que commencer. Ne crains pas non plus d’être sombre. Tu ne l’es pas. Bien sûr, tu racontes beaucoup de choses bouleversantes, mais ça fait partie de l’expérience de cette maladie et les édulcorer ne serait pas loyal vis-à-vis de toi-même. Mais je peux t’assurer que ta force, ta tendresse, ta lumière transparaissent dans chaque ligne de ton récit. Je ne pourrais jamais t’en remercier assez.

Ici il pleut beaucoup, des rideaux de pluie, des orages. C’est sans doute la saison des pluies qui commence! Ça ne me gêne pas trop car j’adore travailler bien au chaud quand les éléments se déchaînent à l’extérieur. Ça m’aide à trouver mon propre point de sérénité et à m’y installer confortablement des heures durant.

Je vous souhaite une belle journée

Amitié à toutes les deux

Alice

5 octobre 2012, Angèle à Alice et à Stéphanie.

Bonjour Stéphanie, Bonjour Alice,

Je continue mon récit.

Le (…) septembre 1997, comme d’habitude, je vais voir papa dans son lit et pars travailler. Je me souviens encore que ce matin-là, bizarrement, la lumière de la cuisine ne fonctionnait pas. J’ai déjeuné à la lumière du frigo. Après coup, j’ai pensé que c’était un signe, que c’était le jour.

Je pars donc travailler ; ce jour-là, je suis avec mon expert-comptable pour la situation comptable au 31 juillet. Je suis donc bien affairée au bureau. En fin de matinée, ma collègue, V. (de la même manière que Stéphanie, tu es très précieuse à Alice, V. est aussi très présente dans ma vie ; elle est une des rares personnes à savoir que je suis atteinte d’une maladie génétique incurable, elle ne connaît pas le nom, mais elle est toujours présente quand j’ai besoin, c’est un trésor pour moi. Depuis 2003, nous ne travaillons plus ensemble, mais elle est toujours là, ma petite gardienne, toujours les mots justes lorsque je vais moins bien), répond au tel de l’entreprise et me passe la communication en me disant que c’est ma mère ; maman me dit : tu devrais rentrer, Papa ne va pas bien. Mon sang ne fait qu’un tour. Elle n’appelle qu’en cas de nécessité.

A partir de ce moment-là, je rentre dans une bulle et chaque acte, chaque parole, chaque geste sont gravés à jamais dans ma mémoire.

J’arrive en 5 mn chez moi et je me retrouve près de mon père. Il n’est plus conscient, il a du mal à respirer. Je rappelle le médecin, les pompiers, le samu. Je reviens vers mon père. Je lui parle, je lui caresse le visage. Il respire encore et dans un dernier geste, il rend son dernier soupir. C’est impressionnant. Je sais que beaucoup de personnes ne pourraient pas vivre cet instant, mais j’étais là au dernier moment et ce moment, personne ne pourra me l’enlever. Je sais que ma mère l’a moins bien vécu. Comme dans les films, je passe ma main sur ses yeux pour les lui fermer, et c’est fini.

Tout passe très très vite. Les pompiers et le samu arrivent presque en même temps. Tous les accès de la maison sont ouverts ; il fait très chaud ce (…) septembre. Quand je les vois, je leur dis qu’ils arrivent trop tard, que c’est fini, mon père est décédé. Ils me posent des questions mais je sais que c’est fini. Ils sont presque une dizaine autour de lui. Ils l’allongent par terre, essaient de poser une transfusion et massage cardiaque. Ma mère et moi sommes serrées l’une contre l’autre. Je dis à l’un des médecins que je ne souhaite pas qu’ils s’acharnent à le réanimer. C’était son heure de partir. Papa était déjà tellement diminué, que j’ai peur qu’il le réanime et qu’il soit comme un légume. La responsable me dit qu’ils ont le devoir de faire le maximum pour réanimer les malades. Je ne suis pas contente. Cela m’a semblé long ce temps. A l’époque, j’étais une grande fumeuse, et je fumais cigarette sur cigarette. Les médecins me disaient d’y aller doucement sur le tabac. En ce moment précis, je fais ce que je veux. Je fume si j’ai envie de fumer et je veux qu’ils s’arrêtent de s’acharner sur mon père. Je veux crier qu’ils arrêtent mais aucun son. Je suis tétanisée. On finit par m’annoncer qu’il est décédé. Oui, merci, j’avais compris.

Je suis toujours dans ma bulle et ce jusqu’aux obsèques. Impression de ne pas être là physiquement, de survoler la situation.

Maman et moi n’avons jamais parlé du décès de mon père. Nous sommes un peu prises de court. J’appelle mon employeur pour le prévenir, mon oncle, le seul frère de maman (qui a toujours été présent et toujours soutenu).

Nous vivons dans une petite maison ; la question se pose : est-ce que papa reste chez nous ou est-ce que nous remettons son corps dans un funérarium ? Assez vite, je prends la décision du funérarium. A l’époque, c’est la première fois dans ma famille qu’un défunt repose dans un funérarium. Les réactions des uns et des autres m’importent peu. Mon père souhaitait vivre dans sa maison avec sa famille, nous avons mené à bien notre mission tous les 3. Maintenant, il est décédé. Je considère que l’essentiel a été fait. Il ne reste que le corps. Peu importe l’endroit où son corps sera déposé.

Ma mère est dévastée par le chagrin. Elle l’aimait son homme malgré la maladie, malgré son fichu caractère parfois, malgré tout le travail qu’il nous demandait à la fin de sa vie. Peu importe, c’était son homme, 39 ans et 10 mois de mariage.

J’ai aussi beaucoup de peine mais je suis soulagée ; c’était le moment.

Mon oncle et ma tante maternels arrivent vite. Les pompes funèbres viennent prendre possession du corps pour le préparer et le déposer dans une chambre funéraire. Ma tante nous emmène dans ma chambre pour que l’on ne voie pas son corps quitter la maison.

Notre médecin arrive. Gentiment, il me pose sa main sur ma tête en signe d’encouragement. Pendant des heures, je suis restée prostrée, sans dire un seul mot dans le silence de la maison. En fin d’après-midi, nous allons au funérarium pour le voir. Je suis forte, je ne montre rien, pas une larme (moi qui suis une grande pleureuse pour un rien). Je ressens une drôle d’impression. C’est son corps qui est devant moi, mais j’ai déjà dit au revoir à papa. J’ai réussi à me détacher ; mon père c’est autre chose que cette enveloppe charnelle, maintenant cela se passera au niveau de l’esprit. Je n’ai plus besoin de le voir, il est en moi pour toujours.

Le soir, je téléphone à sa famille. Je sens de la chaleur chez certains, de la distance pour d’autres dont mon oncle, frère aîné de papa.

Bien entendu, cette nuit-là, je n’ai pas dormi, je n’ai pas dormi pendant plusieurs jours. Le lendemain, jour de visite du défunt. Défilé de la famille, des voisins, quelques amis. Le frère et la belle-sœur de maman ne nous quittent pas, ainsi qu’un petit frère de papa. Merci L., tu as été au top.

Je suis triste bien sûr, mais pas de larmes. Maman est hors du coup, sonnée par le décès de papa, toujours au bord des larmes ou en larmes. Je reçois les personnes, je raconte toujours la même histoire, sa fin de vie. Je répète, je répète. Il faut organiser une messe. Il n’en a jamais vraiment parlé, mais maman catho, la question ne se pose même pas.

Purée une messe, il y a longtemps que je n’y suis pas allée. Heureusement, ma tante maternelle s’y connaît et très bien. Nous partons toutes les 2 voir le prêtre et nous essayons de préparer une messe qui lui aurait convenu.

C’est un sentiment très bizarre pour moi ; je suis toujours dans ma bulle, mais j’ai beaucoup de recul par rapport à la situation.

Le lendemain matin, messe à l’église. J’ai beau avoir du recul, c’est à ce moment-là que j’ai eu le plus d’émotions, le sentiment d’être malheureuse de cette séparation avec le moment aussi de l’enterrement du cercueil. Ça y est cette fois, il ne reste qu’une forêt de fleurs et de plaques. Fini, rideau.

Après les obsèques, on se retrouve en famille. Ma famille paternelle beaucoup plus nombreuse que la petite famille de maman. Toujours dans ma bulle. Mais qu’est-ce qu’ils font tous ces gens ? J’ai envie d’être seule. Partez, partez, tous s’il vous plaît. Je ne vous en voudrais pas.

Le retour à la maison a été difficile. Ce silence ; nous avions l’impression de l’entendre tousser dans sa chambre, de respirer, un manque immense nous a envahi, maman et moi. Une semaine après, messe de huitaine. Et le frère de papa y assiste avec nous. Alors là, je suis dépitée. On se rend sur la tombe de papa et c’est plus fort que moi. Je ne veux pas faire de scandale mais je glisse à l’oreille de mon oncle paternel que c’est plus facile de venir voir les morts que les vivants. Il a compris ce qu’il a voulu. Je ne me suis jamais rapprochée de lui, et cela a provoqué une très grande distance avec ma cousine avec laquelle j’étais très proche.

Une semaine après, je reprends le boulot. La vie reprend facilement pour moi. Pour maman, c’est beaucoup plus difficile, beaucoup de larmes versées. Heureusement, elle a eu le soutien d’une femme habitant en face de chez nous. Elles étaient très proches toutes les 2 (merci F. aujourd’hui décédée).

Pour papa, c’est terminé. On s’est bien battus tous les 3. La vie continue. Il reste encore quelques pages à noircir.

Je ne crois pas avoir souvent employé le mot « mort ». Je n’ai jamais su pourquoi je n’arrivais pas à prononcer ce mot au sujet de mon père. Il faudrait étudier la question.

C’est tout pour aujourd’hui. La prochaine fois, je vous parlerai de ces 15 ans qui sont passés avec beaucoup de bonheurs et quelques petits malheurs.

Je vous souhaite un bon week-end à toutes les 2.

Toutes mes amitiés et à bientôt.

Angèle

7 octobre 2012, Stéphanie à Angèle et à Alice.

Bonjour Angèle, Ton récit est très fort, merci beaucoup.

J’espère que tu passes un bon week-end. Est ce que C. a gagné le match ?

Ici très beau temps encore, il faudrait que ça reste toute la vie comme cela, pas trop chaud, doux avec un beau ciel bleu.

Bon dimanche,

bises

Stéphanie

8 octobre 2012, Angèle à Stéphanie et à Alice.

Bonjour Stéphanie, Bonjour Alice,

Je reprends la suite après le décès de papa.

A partir de ce moment-là, je prends sur moi la MH ; Papa décédé, c’est mon tour. Du côté de la branche de l’arbre généalogique de ma famille, c’est mon tour : je suis la prochaine sur la liste. C’est un évènement pour moi. Jusque-là, je pouvais faire illusion, cette fois, il n’y a plus d’intermédiaire. Une gifle, un sacré coup au moral.

Je reste sur ma position de ne pas passer le test. J’ai l’impression que le fait de savoir va m’empêcher de vivre « normalement ». Donc pas de test. Je suis toujours très à l’écoute de mon corps, ma façon de marcher, de penser. A part des coups de cafards fréquents, je n’ai pas l’impression d’évoluer beaucoup vers la MH. Mais je sens qu’elle rôde, elle attend le moment propice pour apparaître.

Les années passent. J’essaie de profiter de la vie. Je fais des petits voyages. Je visite la France, les musées, les expos, les églises, j’adore les vieilles pierres, l’histoire, les plages du débarquement, le cinéma, la lecture ; tout cela me passionne, je suis curieuse, et tous les ans, je vais dans ma Bretagne sur la côte sauvage et cela m’apaise. Qu’est-ce que j’aime cet endroit.

Finalement pour ces années, cela va aller assez vite. C’est bien connu, les gens heureux n’ont pas d’histoire. J’ai bien sûr cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête, mais j’assume mon choix. Je ne veux pas faire de test pour vivre normalement, je vis normalement. Je profite raisonnablement de la vie. J’ai des goûts simples.

En 2003, mauvaise nouvelle, je suis licenciée suite à la fermeture-dépôt de bilan de mon entreprise. J’ai 43 ans, je suis secrétaire comptable, comptable sans diplôme, je ne connais pas Internet, ni les nouveaux outils modernes. Je suis très inquiète pour mon avenir. Je suis très pessimiste. C’est à partir de ce moment que je reste en contact avec ma petite V. que j’ai portée quand elle en avait besoin et qui me porte depuis 2 ans.

Je venais juste d’arrêter de fumer ; je n’ai pas trop le choix, il faut que je me bouge. Je décide de faire du « sport ». Qu’est-ce je pouvais faire ? De la randonnée, j’ai avalé des km et des km. J’ai fait un peu de natation. Cela me vidait l’esprit. J’étais fatiguée physiquement mais une bonne fatigue. J’ai aussi pris beaucoup de plaisir à effectuer ces exercices. Il faut imaginer un peu le tableau ; je pars de chez moi à pieds, en tenue sportive avec mon MP3 et ma bouteille d’eau dans mon dos. J’étais une sacrée sportive… Je faisais mes 12 km en 2 heures. J’allais souvent au bord d’un lac près de chez moi (enfin 6 km quand même). Arrivée au lac, je faisais une pause, je m’asseyais, j’écoutais ma musique et j’étais bien. Je n’ai pas baissé les bras à aucun moment, il fallait compenser.

J’étais assez fière de moi, pas de gros coup de cafard et je n’ai pas recommencé à fumer. Ouf.

7 mois après mon licenciement, je suis contactée par un entrepreneur qui reprend l’activité de mon ancien employeur, les locaux, les machines, les véhicules et qui préfèrent faire appel à des personnes connaissant déjà le métier. Un sacré coup de bol. Je rencontre un jeune cadre dynamique, ainsi que d’anciens collègues. On commence petit à 4 mais nous sommes tous très motivés et je travaille, je m’investis, je sais faire des choses que je ne soupçonnais pas. Je suis ma propre chef. Je m’organise, je rencontre les banquiers, je négocie, bref je m’éclate. Je n’ai jamais été aussi bien dans mon métier. Et cela porte ses fruits. L’entreprise tourne bien et nous faisons des bénéfices. Mon patron G. me tutoie, je le tutoie. Il aura de l’importance dans la suite de mon histoire. A ce moment-là, nous sommes plus de 60 salariés dans l’entreprise.

Tout va bien. L’entreprise grandit ; j’ai une relation privilégiée avec G.

Mais l’histoire finit par me rattraper. En 2008/2009, je suis toujours autant investie au bureau. Mais cette fois ce n’est pas un gros coup de cafard, c’est une grosse, grosse déprime. Je n’arrive pas à reprendre le dessus comme les autres fois. Je pleure tous les matins ; au bureau, je pleure. Au début, j’essaie de me cacher, mais ce n’est pas possible très longtemps. G. me soutient, je reconnais qu’il essaie de m’épauler, mais il y a des limites. Fin 2009, il m’annonce que ce n’est plus possible de continuer comme ça, vu mon poste, cela faisait un mauvais effet auprès des autres salariés, des fournisseurs, des banques, etc.

Je tombe des nues. Je ne pensais pas que mon poste était en jeu. Après tout l’investissement donné, je suis remise en cause. J’essaie de plaider ma cause. En vain. Cela n’arrange rien loin de là. C’est fini, je perds pieds.

Je suis mal, très mal. Ma mère se demande ce que j’ai. Je ne dis rien à personne. Début 2010, je prépare le bilan avec l’expert-comptable pendant plusieurs jours et le lendemain, je suis convoquée et G. m’annonce qu’il ne peut plus continuer comme ça. Bang. Je le prends très mal ; je pensais que l’entreprise ne pouvait pas se passer de moi ; grosse erreur, personne n’est irremplaçable. Et là, je me rends bien compte que l’amitié dans l’entreprise n’existe pas. Des collègues que je connaissais depuis 20 ans et plus m’ignorent et me tournent le dos. Chacun pour sa pomme. Chacun tient à son poste et s’y accroche. Maintenant, les relations se sont bien régularisées, et sont redevenues presque comme avant. Mais sur le moment, je me suis sentie bien isolée et en manque de confiance. L’impression de ne plus rien valoir, en plus de tout le reste.

Mon médecin m’avait demandé si je voulais bien rencontrer un psychiatre. Je suis d’accord. Quand on est au bord du gouffre, on accepte tout. Le jour de la convocation dans le bureau de mon patron correspond à un jour de RV chez la psy. J’arrive dans son cabinet en pleurs mais des gros pleurs, des sanglots. Elle décide de m’arrêter de travailler 1 mois et demi. Je n’en revenais pas ; je n’avais jamais été arrêtée de ma vie. Mais j’étais perdue ; je n’arrivais pas à croire que j’allais perdre mon emploi. Je n’arrive pas à me relever ; je décide sur proposition de la psy de faire un séjour dans une clinique spécialisée (mot délicat pour dire HP). Au début, j’ai un peu peur, mais finalement, sur un coup de tête, j’accepte ; c’est trop dur, il faut faire quelque chose. J’y reste un mois et c’est peut être surprenant, mais j’étais bien là-bas. J’ai vite sympathisé avec quelques femmes déprimées aussi. J’étais la moins atteinte. Autour de moi, beaucoup de TS. Je rencontre des psy, des infirmières et je garde un très bon souvenir de mon séjour. J’ai compris là-bas que je n’étais pas seule et que pour des tas de raisons, on pouvait aller mal. Je sors la première de la clinique, je laisse mes nouvelles copines. C’est fou comme on peut sympathiser dans des moments pareils. Je reviens chez moi, je suis toujours en arrêt, un mois, plus un mois, plus un mois. Pas de nouvelles de mon patron. Au bout d’un certain temps, il reprend contact avec moi pour me redire la même chose et qu’il fallait bien qu’il s’organise pour le poste de comptable. Ce que je pouvais comprendre. J’ai donc eu le choix entre un licenciement ou une rupture de contrat à l’amiable.

On a passé 3 mois à négocier, le temps que je me renseigne, le plus, le moins…

Tous ces évènements se sont passés en 2010, l’année de mes 50 ans. Je l’avais dit, je ne voulais pas avoir 50 ans.

On est début 2010 et une grosse étape m’attend.

A bientôt pour la suite et la fin de mon récit.

Grosses bises à toutes les 2

Angèle

10 octobre 2011, Angèle à Stéphanie et à Alice.

Bonjour Stéphanie, bonjour Alice,

Cette année-là 2010, tous les évènements relatés la dernière fois vont se mélanger, se chevaucher. La pire année de ma vie. J’avais passé les vacances de Noël au Maroc, très bien les vacances mais dès mon retour, le mal-être toute l’année.

1) La dépression ; 2) Le risque de la maladie ; 3) Le risque de perte d’emploi ; 4) La perte de mon emploi ; 5) La décision du dépistage ; 6) Le dépistage ; 7) La signature de ma fin de contrat ; 8) Le résultat du dépistage.

Tout cela en 6 mois. Fin juillet, tout était réglé, j’avais les réponses à toutes mes questions.

Je décide donc de passer ce fichu test sur un coup de tête. Ça fait 20 ans que mon médecin me propose de le faire pour me rassurer. Il est temps. Je veux savoir. Ce n’est pas possible d’avoir cette impression, cette chose dans ma tête, cette façon de penser, de changer « d’humeur ». C’est sûr, je le fais. Je prends contact avec la neurologue de ma commune conseillée par mon médecin. L’entretien se passe très bien, on parle, à sa demande, je refais rapidement l’histoire de ma famille. Elle m’explique le système et le principe du protocole de dépistage. Je tombe des nues quand j’apprends les différents délais entre chaque RV. Je voulais la réponse tout de suite. J’ai du mal à comprendre ; j’ai passé ma vie à attendre ce jour. Je finis par accepter, bien obligée. 1er appel au service du CHU à Angers : on me pose quelques questions, et on me fixe un premier RV 1 mois après pour une rencontre avec le neurologue et l’infirmière référente qui me suivra dans toutes mes démarches.

1er RV : Je me suis longtemps demandé si j’étais capable de conduire ma voiture pour aller au CHU passer les différents RV. 60 kms. Est-ce que je serai capable de revenir ? Je décide qu’au début, j’irai seule.

J’ai passé le 1er test non officiel de mon médecin traitant qui me dit qu’il n’a pas l’impression que j’ai la maladie par rapport à la vision de mon père qu’il a bien connu.

J’ai passé le 2ème test non officiel de ma neurologue locale qui m’a dit également qu’il ne lui semblait pas que je portais le gène de cette maladie.

Reste le TEST, le VRAI. C’est parti.

J’arrive dans la salle d’attente du service. Je suis mal à l’aise. Je suis tremblante. Dernière ligne droite. J’attends peu de temps ; je suis pressée d’y aller et en même temps, je resterais bien dans cette salle à faire semblant de lire cette revue minable. L’infirmière vient me chercher. Est-ce que je vais être capable de marcher et de la suivre ? Est-ce que je suis réveillée ? Est-ce que je rêve ? Toutes ces sensations, je les revivrai à chaque RV du protocole.

J’entre dans le cabinet du neurologue. Politesse d’usage. Gentillesse, rien à dire.

1er petit accroc : le neurologue me demande pourquoi je pense être atteinte de la MH ? Je m’attendais à beaucoup de choses, mais pas à cette question. C’est vrai qu’il ne me connaît pas et qu’il peut se poser la question. Je suis prise de court et je m’embrouille un peu dans mes explications. Comment expliquer en quelques mots ce que j’ai vu tout au long de ma vie ? En même temps, je prends conscience que ma GM et mon père n’ont jamais passé de test de dépistage. Petit secret de famille. Le nom de la maladie, c’est la MALADIE. J’ai le sentiment que le neurologue met en doute la présence de la maladie dans ma famille. On n’en parlait pas ouvertement, mais mince, je l’ai vécue. Il me pose des questions et on refait un peu l’histoire de ma famille. Comme les autres médecins présents et acquiescement des autres intervenants, je n’ai pas de symptôme visible de la MH. Est-ce que je souhaite continuer le dépistage ? Oui, oui, on continue.

J’étais sûre de moi, je sors du bureau et si ce n’était pas la MH, et si je m’étais trompée. Je suis partagée, je ne veux pas y croire. Si c’est vrai, ce sera l’heureuse surprise mais alors je me suis gâché toute ma vie pour rien. Pendant le chemin du retour, tempête sous un crâne. 2ème RV avec le psychologue un mois plus tard.

Très bonne entrée en matière, bonne discussion. On parle de la MH mais pas tant que cela. Il teste mes facultés à encaisser, mais comme les autres, il est rassurant et on parle 1 heure ou 1 heure et demie de choses et d’autres. Ouais cool, le RV chez le psychologue. Est-ce que je veux continuer ? Oui toujours. Lui aussi est d’accord. Nous sommes tous les 2 assez détachés de la MH. Je rentre chez moi encore un peu plus rassurée.

3ème RV pour la prise de sang. L’infirmière référente vient me chercher, m’amène dans un dédale de couloirs dans un petit labo où elle procède aux prélèvements de sang. Je commence à la connaître, elle est très gentille. En plus, elle pense qu’elle s’adresse à quelqu’un qui n’est pas porteur du gène, donc je la sens à l’aise avec moi, cela doit bien aider d’avoir à annoncer un résultat négatif. Je pose quelques questions pour me rassurer sur le résultat et c’est très paradoxal, je commence à croire que je me suis peut-être trompée, mais quelque chose me retient d’y croire. Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible que je me sois trompée à ce point. Mon instinct légendaire m’aurait lâché. Non ce n’est pas possible.

4ème RV le 19 juillet 2010 : il s’est passé 5 mois entre le 1er et le 4ème RV. On y est.

La question se repose. Est-ce que j’y vais seule ? Oui j’y vais seule. Le lendemain, je signe la rupture de mon contrat de travail ; sacrée semaine. La tension est encore plus forte que les 3 premières fois. J’attends peu de temps. Ma copine, l’infirmière référente vient me chercher et je ressens un malaise. Elle est différente. Tout va très vite dans ma tête. Mes jambes me portent à peine. Je ne sais plus où je suis, ce que je fais, je ne sais plus rien. Là, je rentre dans une espèce de bulle, Je suis là sans vraiment être là. Impression bizarre. J’en suis sûre depuis toujours, je vais enfin savoir, mais je le sais au fond de moi.

Je rentre dans le cabinet du neurologue. Une brochette d’hommes et de femmes sont devant moi ; le temps que l’infirmière s’installe parmi eux, je ferme la porte du cabinet (la scène se déroule au ralenti dans ma mémoire et cela je crois à jamais).

Je m’assois, je ne sais pas qui regarder. Le neurologue prend rapidement la parole et me dit « j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer ». A partir de là, c’est le brouillard.

J’entends que l’on me parle, « vous êtes porteuse du gène ». Je m’entends également parler, poser des questions sur ce que je peux faire pour repousser l’apparition de la MH. Toutes les réponses sont négatives ; il n’y a rien à faire, maladie incurable. Des larmes coulent en silence sur mes joues. C’est le trou noir, j’ai tellement attendu ce moment. J’ai envie de crier après tous ces gens que j’ai rencontrés et qui me disaient qu’à l’œil, il leur semblait que je n’avais pas la maladie. Et le neurologue lors du 1er RV qui mettait en cause la présence de la MH dans ma famille. Je n’ai pas l’impression que le RV dure très longtemps. A la sortie du cabinet, l’infirmière me voyant pleurer à chaudes larmes en silence et complètement décontenancée me propose d’aller passer un petit moment avec elle. J’accepte bien sûr. On parle, enfin c’est plutôt moi qui parle. Je dis que je l’avais bien dit, que j’étais sûre, que je le sentais depuis toujours.

Nous buvons un café et puis assez vite, je reviens sur terre, je sors de ma bulle, je reviens à la vie.

Je décide de garder l’information pour moi. En tout cas, silence radio pour ma famille. J’ai besoin de temps pour faire la part des choses. Je ne sais pas encore comment je vais réagir avec mon entourage. Je rencontre rapidement mon médecin généraliste qui tombe des nues ; je crois me souvenir qu’il aurait mis son diplôme de médecin en cause tellement il était sûr que je n’étais pas porteuse, toujours en rapport avec ma non-ressemblance avec mon père. Eh Perdu, Docteur.

Ma hantise, c’est que cela se voie. Je ne veux pas en parler parce ce que j’ai peur que le regard des autres change quand ils sauront et également parce que je ne peux pas en parler. Je ne peux pas. J’ai besoin de temps.

Voilà pour le parcours sinueux du dépistage; comme je suis un peu bavarde, j’ai encore un ou deux petits textes que je termine et que je vous envoie bientôt.

Toutes mes amitiés à toutes les 2.

Angèle

10 octobre 2012, Stéphanie à Angèle et à Alice.

Bonjour Angèle,

Whaou, je suis toute émue par ton texte, par sa violence et sa sincérité – sacré truc. Merci.

Tu sais depuis hier, je cogite. En parlant avec Alice, on aimerait venir te rencontrer si tu en es d’accord.

De mon côté et concernant ma participation au projet DDD, j’ai de plus en plus envie de faire des portraits. La peinture ne me semble pas le médium adapté, je vais plutôt vers la photo ou la vidéo. En tout cas, vers l’image, les images. Je pense faire des « portraits multiples » à savoir que les objets, les paysages, les lieux seraient aussi des univers qui feraient partie intégrante des personnes.

Voilà, excuse-moi c’est encore assez confus mais dans l’enthousiasme, je souhaitais t’en parler rapidement.

Dis-moi ce que tu en penses,

Affectueuses pensées

Stéphanie

10 octobre 2012, Angèle à Stéphanie et à Alice.

Coucou Stéphanie,

Juste un petit mot, je prendrai le temps de te répondre plus longuement plus tard, mais je vais finir par poser la question parce ce que cela me trouble. C’est la première fois que je me livre à cet exercice et cela m’a personnellement beaucoup apporté. Mais, qu’est ce qui t’intéresse dans mes récits ? Excuse-moi, c’est sans doute très bête, mais je n’arrive pas à comprendre ce qui peut t’intéresser sur ce que j’ai écrit.

Je te remercie, c’est réconfortant.

A bientôt.

Angèle

11 octobre 2012, Alice à Angèle et Stéphanie.

Ma chère Angèle,

Merci pour ton récit du test… on a déjà eu l’occasion d’échanger il y a quelques semaines à ce sujet, les résonances sont si nombreuses et si fortes entre nos deux expériences. Je me rends compte aussi que cela fait seulement 2 ans que tu l’as passé. Mais deux ans c’est rien ! Moi j’ai vraiment commencé à sortir la tête de l’eau au bout de quatre ans… Du coup, à propos de la question de le dire à tes proches, quand tu dis : « j’ai besoin de temps », c’est tellement compréhensible! Prends tout le temps qu’il faudra.

Je suis très sensible à la question que tu nous poses dans ton dernier e-mail sur les raisons de l’intérêt que nous trouvons dans ton récit. Je ne répondrai pas à la place de Stéphanie, mais en ce qui me concerne, je crois que TOUT m’intéresse dans ce que tu écris. Plus précisément, c’est ta manière de nous raconter les choses qui les rendent si intéressantes, si riches d’enseignements. Pourquoi ? Parce que grâce à la façon dont tu racontes la MH, la maladie n’est jamais détachée du reste de ta vie et de celle de tes proches. C’est cette façon super naturelle, qui parvient à articuler toutes les myriades de petits et de grands éléments qui font de la vie ce qu’elle est, qui est à mes yeux si précieuse. Tu ne t’en rends sans doute pas compte parce que tu baignes dedans. Mais de tels récits sont rares. Le plus souvent, par les forums etc, on n’a accès qu’à des petits bouts, ou alors à une vision centrée sur les mauvais côtés de la maladie (j’exagère un peu, mais c’est pour me faire bien comprendre). Avec toi, ce n’est jamais le cas. Par exemple : tous les détails que tu donnes au sujet de l’hospitalisation de ton père (la première), votre résistance pour éviter qu’il soit placé, et ce qui s’est passé au retour, ne serait-ce que sa réaction face au lit médicalisé… puis votre organisation pour le maintien à domicile avec l’aide de J.… tout cela, ce sont des pépites d’enseignement pour nous autres. Quand tu auras fini, j’aurais quelques questions à te poser sur certains détails, par exemple au sujet de tes oncles, tantes, et cousins du côté paternel, etc.

Et j’aurais surtout cette demande : nous sommes en train de fabriquer une nouvelle version de notre site (normalement en ligne en décembre). Il y aura un département spécial pour les témoignages. J’aimerais te proposer de poster tout ton récit dessus, après l’avoir bien sûr anonymisé (et corrigé si tu le souhaites). Il y aura la possibilité, à partir des témoignages, que les gens puissent réagir et/ou poser des questions. Le tout dans l’objectif qui est le notre à Dingdingdong : coproduire de la connaissance sur la MH.

En quoi ton témoignage peut-il nous être utile pour une telle « coproduction » ? Tu sais bien sûr ce qu’est un témoin. Un témoin en droit, en histoire, etc. Le mot vient du latin testis : une personne qui peut certifier de l’existence et de la réalité d’une chose ; qui a valeur de preuve (le mot testis a ensuite donné les mots «testament», « tester » etc…). Mais sais-tu que, en sports (1924), le mot « témoin » s’est spécialisé pour désigner le « bâton qu’un relayeur doit passer à l’équipier suivant » ? Moi je l’ignorais jusqu’à ce que je fasse des recherches là-dessus ce matin dans ma « Bible » personnelle – le Dictionnaire historique de la langue française, d’Alain Rey.

Cela veut dire qu’à partir du moment où l’on reçoit un témoignage comme le tien, ce n’est pas fini, au contraire, le travail ne fait que commencer. Il faut le faire partager, le lire et le relire attentivement, y réfléchir, en dégager certains éléments, apprendre de lui, mettre en rapport cette matière-là avec d’autres matières etc.… le tout non loin de ton regard… car il faut aussi pouvoir revenir vers toi pour te poser des questions sur tel ou tel aspect et te solliciter pour te soumettre les idées que l’on a tirées à partir de ton récit.

En ce sens, le témoin-auteur-du-témoignage est bien ce bâton qu’on se transmet d’équipier en équipier dans la course de relais : à la fin c’est bien une équipe qui a participé à la course (et peu importe que l’on ait perdu ou gagné!). Faire la distinction de qui a fait quoi est possible mais n’a plus beaucoup d’intérêt. C’est ça, pour moi, le sens de la co-production de connaissance.

Bien sûr, tu as tout le temps d’y réfléchir. Pose-moi toutes les questions qui te viennent à l’esprit. Ce n’est que si tu es convaincue de l’intérêt de la démarche qu’on pourra le faire. Et si tu ne souhaites pas le faire, cela ne changera RIEN à nos rapports, à notre correspondance etc etc.

Je vous embrasse fort toutes les deux

A.

11 octobre 2012, Stéphanie à Angèle et à Alice.

Coucou,

Désolée pour la fausse manip de ce matin, donc je reprends mon mail en entier : Pourquoi ton récit m’intéresse ? – De mon côté, j’ai découvert cette maladie par l’intermédiaire d’Alice (son histoire d’ailleurs je la connais très bien sur certaines périodes pour en avoir partagé des moments mais assez vaguement sur l’histoire de la maladie au sein de sa famille).

Je me suis documentée sur MH ensuite pour « apprendre » plus et j’ai pu avoir accès à des informations de type médical ou à des segments précis liés à l’histoire d’une personne (forum) mais tout ceci de façon très parcellaire. De plus dans le discours médical (et c’est un des enjeux de DDD il me semble), les infos peuvent être caricaturales ou ériger en généralité alors qu’elles ne sont pas du tout duplicables dans tous les cas (par exemple l’anosognosie).

Pour ma participation au projet DDD, il m’a semblé nécessaire d’abord d’obtenir des témoignages de personnes liées à la maladie, soit porteur, soit malade, soit aidant. Pour réfléchir, j’ai besoin de « matière » et celle-ci ne m’intéresse que si elle provient de personnes qui l’expriment librement et subjectivement. Je suis en relation avec 3 autres personnes qui comme toi m’ont fait confiance et m’ont livré leur histoire.

Dans un précédent témoignage, j’ai rencontré une dame à Marseille, son mari a eu la maladie. Suite à cela j’ai produit un texte (te l’ai-je envoyé d’ailleurs ?). Il m’a semblé que ce procédé était le plus adapté à la rencontre avec cette femme et à la retranscription de son histoire. J’ai d’ailleurs, avant de montrer mon texte, attendu d’avoir son aval de façon à ne rien trahir. J’ai eu la grande chance Angèle que tu répondes à cette annonce postée sur le forum et que tu déroules le fil de ton histoire de façon si détaillée et si intense. Au fil de la lecture, je me suis aperçue qu’il m’était impossible de refaire un travail à partir de tes textes : ils sont très bien écrits, très personnels et si toutefois tu acceptes qu’ils figurent sur le site DDD, il y aura de la remise en forme mais de mon point de vue, assez peu de corrections. Alice, qu’en penses tu ?

C’est pourquoi, je me suis dit que j’avais envie de te rencontrer, de voir ton univers – avec les photos que tu nous a envoyées, tu me (nous) donnes un accès déjà à ton environnement et à ce que tu aimes.

Pour mon projet, je pense à des photographies mais aussi peut être à des images filmées. Je travaille souvent de manière instinctive et pour des projets « sensibles » comme celui ci, je veux me fier à mon instinct si tu en es d’accord évidemment. Je te dis cela dans l’enthousiasme que cette pensée me procure mais sois certaine que je respecterai tes désirs (ou non désirs).

Voilà Angèle, pourquoi… Je vous embrasse toutes les deux, je suis mal douée pour écrire un mail à deux personnes en même temps, j’espère que vous ne m’en voudrez pas sur la forme !!

11 octobre 2012, Angèle à Stéphanie et à Alice.

Coucou à toutes les 2,

Je tenais à vous remercier sincèrement pour l’envoi de vos e-mails d’aujourd’hui. J’ai l’impression que vous parlez de quelqu’un d’autre que moi. Nous aurons l’occasion d’en reparler plus longuement, mais comme je l’ai déjà dit, écrire est un exercice que je découvre, et je suis étonnée de l’intérêt que vous portez à mon histoire et je suis un peu soufflée par vos propositions et l’importance que vous m’accordez ; nous en reparlerons.

D’autre part, je n’ai pas tout à fait terminé de vous transmettre la fin de mon récit. Je m’en occupe dans les jours qui viennent. C’est pratiquement fini pour l’écriture, il me reste à relire et à compléter peut être…

Pour Stéphanie, je n’ai pas reçu le texte que tu as reformaté suite au récit d’une femme de malade. Si c’est possible, je suis intéressée pour le lire.

Merci encore et bonne soirée.

Angèle

12 octobre 2012, Angèle à Stéphanie et à Alice.

Bonjour Stéphanie, Bonjour Alice,

Je suis donc porteuse du gène de la MH.

Assez vite, la Sécu m’a convoquée régulièrement pendant la période de dépistage ; et dès que le Docteur Sécu a su que j’étais porteuse du gène, il m’a dit presque sans me regarder et en fermant mon dossier, que je ne travaillerais plus jamais. Là, je suis rentrée dans ma voiture et panique ; il faut faire une croix sur sa vie sociale. A nouveau, choc. Mais au fond de moi, je croyais que ce n’était qu’une éventualité qui allait arriver dans quelque temps. Pas du tout, 15 jours après, je recevais un petit courrier recommandé m’indiquant la date de la fin du mon arrêt de travail et ma mise en invalidité, quasi immédiate. Je me souviens, c’était la veille du week-end de Pâques. Je suis restée sous ma couette pendant 3 jours.

50 ans, j’entre dans un âge qui peut être critique ou pas, la maladie va avancer un peu, beaucoup, rapidement ou pas. Je ne sais pas.

Ce que je sais, c’est que mon humeur peut changer radicalement en très peu de temps, sans raisons valables.

Ce que je sais, c’est que je suis dépressive, très facilement dépressive.

Ce que je sais, c’est que je commence à avoir quelques problèmes d’équilibre et de marche droite et nette, qu’au moindre effort, je souffre des articulations (chevilles, genoux et épaules). Là, pour mon entourage, je joue à la mamie pleine de rhumatismes en essayant de faire un peu d’humour.

Ce que je sais, en revanche, c’est que ma mémoire pour le moment ne me fait pas trop défaut, loin de là. Je crois avoir prouvé ma bonne mémoire, j’arrive encore à peu près à tenir des raisonnements, à m’intéresser au monde qui m’entoure.

Ce que je ne sais pas, c’est le symptôme qui va être le premier à se déclencher de manière évidente ; le physique, la marche, le cognitif, le caractère, liste non exhaustive hélas.

Aujourd’hui, j’ai bien accepté cette nouvelle situation. Je suis invalide et alors ? Cela me permet de vivre à mon rythme et de mieux gérer mes périodes de blues quand j’en ai.

Mon repère évidemment est mon père et l’évolution de la MH chez lui. Il me semble, sous réserve bien entendu, que la MH est moins évoluée sur moi que sur mon père au même âge. Mais peut être que cela m’arrange de le penser.

A ce jour, la maladie n’a pas beaucoup avancé, enfin je le pense. Je peux encore maîtriser mes humeurs, mes mouvements physiques. De temps en temps, je suis moins en forme que d’autres. Parfois, je me prends les pieds dans le tapis, ma tête a du mal à tenir droite. Je ruse et j’attends que ça passe. Je suis retournée 2 fois au CHU ; la première fois pour faire un état d’avancement de la MH (rendez-vous pour tests d’équilibre, de psychologie, de mémoire, de logique…). La deuxième fois, pour suivre l’évolution (et à nouveau les tests…). Cette année, je devais y retourner avant la fin de l’année, mais je crois que je vais zapper le test cette année. Pas envie d’y retourner aussi vite.

Voilà une petite suite, nous sommes en 2012. Il me reste un texte de conclusion. Vous connaissez mon esprit concis. Vous aurez encore de la lecture pour le week-end.

je vous souhaite un bon week-end et à très bientôt.

Angèle

13 octobre 2012, Alice à Angèle et à Stéphanie.

Merci Angèle,

Quelle brute que ce médecin de la Sécu, qu’en savait-il ? Et même si c’est le cas, c’est ton choix, pas le sien. Ça m’enrage toujours de voir la brutalité de certains praticiens. Ce que tu dis de l’invalidité est très juste, je trouve. Ce qui compte, c’est de trouver le confort depuis sa propre situation. Un tel label ne nous définit pas. C’est nous qui devons nous en servir, pas l’inverse. Pour le reste, je trouve que tu as bien raison de te laisser un peu de répit. Tu pourras toujours retourner au CHU si tu en ressens le besoin. Le côté systématique des choses n’est pas toujours bien adapté à la situation du porteur, je trouve.

Quant à ce que tu ressens, je trouve que tes analyses sont très fines. La douleur physique est l’une des choses dont on parle le moins pour la MH, et moi ça m’intéresse beaucoup d’en savoir plus. Il y a des gens qui ne s’en plaignent pas du tout, d’autres si. C’est un peu un mystère. Par ailleurs, on peut bien sûr se mettre à avoir des douleurs liées à d’autres pbs que la MH. « Faire la part des choses » de ce qui relève de la MH et de ce qui n’en relève pas est l’exercice le plus compliqué qui soit. Surtout dans la situation du porteur. À tel point que parfois j’essaie de « fondre » les choses dans mon esprit pour trouver une harmonie en moi-même, qui se place à un autre niveau. Pour que ça ne soit pas ou bien c’est ceci ou bien c’est cela. MH ou pas MH, alors ce n’est plus trop cette question qui est intéressante. La question c’est : comment je peux me sentir mieux, vraiment mieux. Et alors, mine de rien, on n’entame pas les choses avec peur ou désespoir mais avec le souci pragmatique du mieux-être.

Bon, plus facile à dire qu’à faire, hein! En tous cas, j’ai l’impression, en te lisant depuis toutes ces semaines, que c’est ce que tu fais naturellement. Et ça je trouve ça super fort.

Merci Angèle, passez une très belle journée toutes les deux,

Ici il pleut des baignoires.

A

13 octobre 2012, Stéphanie à Angèle et à Alice.

Bonjour à vous deux,

Merci beaucoup pour ton texte Angèle.

Comme Alice, je trouve ton analyse très fine. Courage à toi dans les résistances, écoute-toi dans tes désirs et laisse-toi le temps choses.

Grosses bises à vous deux (bon, sans la ramener, il fait grand soleil ici, je vais faire une photo et vous envoie mon petit paysage du matin).

Stéphanie

13 octobre 2012, Angèle à Stéphanie et à Alice.

Merci Stéphanie pour la photo. Evidemment, ça fait envie. A l’instant, chez moi, un rayon de soleil, le premier de la journée, à travers des nuages gris foncé/noirs. Il ne pleut pas des baignoires mais pratiquement sans discontinuer depuis ce matin. Le temps de l’écrire et le rayon de soleil a disparu. Et demain, paraît-il, c’est pire. Demain, prévision 20° à Cassis et 13° à C. Après recherche sur Google, à S., 30° avec de la pluie, de l’orage et du soleil…

Tu avais raison Alice quand tu disais que C. en basket gagnerait le prochain match. C’est fait. Hier soir, match gagné à D. ; c’était en direct sur sport +, donc soirée cool.

Pour le reste, pas de souci, je relativise les problèmes et je ne suis pas la seule à souffrir physiquement par moment. Pour l’instant, c’est encore très supportable et cela ne m’empêche pas de vivre normalement, mais je tenais à en parler sans savoir ce qui est imputable à la MH ou non.

A plus tard.

Angèle

15 octobre 2012, Angèle à Stéphanie et à Alice.

Suite du récit… Qui sait que je suis atteinte de la MH ?

Mon oncle maternel et ma tante

Le corps médical

Qui sait que je suis atteinte d’une maladie génétique ?

V.

1 ami

Qui sait que je souffre d’une dépression chronique ? Eh bien tous les autres, y compris ma famille, ma mère et ma famille paternelle.

Paradoxalement, depuis mi-2011, je vais mieux, dans tous les cas, même quand je vais moins bien, je m’efforce de montrer et de dire que tout va bien. Mes quelques amis proches me trouvent toujours en pleine forme. C’est une situation assez ambiguë. D’un côté tout va bien, et de l’autre je suis déclarée handicapée par la Sécu. Difficile à justifier à son entourage. Mais je ne me sens pas prête du tout à assumer la MH ouvertement. Est-ce que c’est bien ou pas ? Comme toujours, je l’ai décidé pour le moment. J’ai tellement peur que la révélation de la MH change mes relations avec les gens que j’aime et mon entourage. Pour le moment, ce qui est le plus difficile, ce sont les coups de déprime. Ils sont, me semble-t-il, de plus en plus longs dans le temps, de plus en plus profonds, et je crains de plus en plus ne plus être capable de remonter la pente.

Maintenant que j’arrive à la fin de mon récit, pour la première fois, je me rends compte que je n’ai pas eu une vie facile, mais j’ai vécu une vie extraordinaire, certainement pas dans la norme ; encore que je me demande toujours qu’est-ce que c’est qu’être normale. Mais quelle richesse dans les sentiments, les ressentis, les émotions. Cela ne sert à rien de regarder comment vit son voisin, s’il est plus heureux ou malheureux que soi. J’ai appris aussi qu’il fallait d’abord compter sur soi et s’entourer de personnes, famille ou non, de personnes sûres et sincères. Les curieux et autres qui ne sont pas sincères et qui font acte de pitié gratuitement, il faut les laisser de côté et rester à distance. Cela n’empêche pas les relations avec le monde qui nous entoure bien sûr mais il ne faut pas se faire parasiter par des mauvaises ondes. Il ne faut pas se faire du mal pour rien. La situation est déjà bien assez compliquée. Certes, parfois cela va moins bien, mais je me suis toujours sentie forte par rapport à cette MH. Autre chose, ce n’est pas parce que l’on ne fonde pas une famille que l’on ne sert à rien et qu’on rate sa vie. Non, non et non. (Je l’ai tellement entendu dans ma famille : quand est-ce que tu te maries ? eh oh, ce n’est pas obligatoire). On peut vivre autrement et avoir une vie très intéressante.

Je n’ai aucun regret, surtout pas. A bien y réfléchir, jusqu’à présent, je n’aurais pas voulu une autre vie. Je suis lucide. Viendra bien un moment où mes bonnes résolutions ne serviront plus à rien, que la MH me rattrapera d’une manière ou d’une autre. Je suis consciente qu’il faudra que je vive ma maladie toute seule, sans famille. Mais pour le moment, je vis au jour le jour. Le fait de faire un petit bilan écrit avec vous 2 m’a appris cela ; finalement je n’en avais pas totalement conscience. Je vous remercie toutes les deux. Je ne sais pas si c’était toujours intéressant à lire mais cela m’a libérée. Il reste une petite trace de mon passage.

Je me rends compte qu’il me manque un esprit de synthèse. Je suis beaucoup trop rentrée dans les détails. J’ai écrit un vrai roman.

Fin du récit.

Angèle

15 octobre 2012, Stéphanie à Angèle et à Alice.

Angèle,

Merci de ton mail. J’espère vraiment que le bilan de ce récit dont qqpart je me sens responsable est positif. Il y a une culpabilité chez moi tout de même si cet effort de reconstruction a pu générer de la souffrance.

De la façon dont je ressens tes textes, bien sûr que non tu n’as pas donné trop de détails, au contraire ton récit étoffé m’a (nous) a permis d’entrer de ta vie et quelle vie !

Sur le rapport « au secret » de la maladie, il me semble que c’est tout de même très lourd pour toi. Que redoutes-tu des autres ? Les gens qui t’aiment n’auront à mon sens qu’un rôle positif et pourront probablement plus t’aider dans les moments sombres… ce n’est qu’un avis mais tu sais parfois on veut protéger les autres, en pensant un peu à leur place mais chacun est adulte et cette chose tue me semble difficile pour toi.

Voilà, je te dis comme je le pense et c’est bienveillant, sois en sûre. Grosses bises Angèle

Stéphanie

15 octobre 2012, Alice à Angèle et à Stéphanie.

Je rejoins Stéphanie, Angèle, pour te dire que ton témoignage est magnifique, justement parce qu’il est plein de détails, foisonnant comme la vie elle-même. La vie n’est jamais une synthèse (je suis allergique aux synthèses moi-même et n’ai jamais pu en rédiger). Il est comme un roman ! Tu as pris le soin de raconter les choses comme elles ont été et comme elles sont, et c’est seulement en procédant ainsi qu’on peut entrer dans la saveur de ton histoire. Qui n’est pas sombre, au contraire : qui est à plein d’égards exaltante. Je trouve superbe ce moment où tu dis que si tu avais le choix, tu ne voudrais pas d’une autre vie. Je peux te dire que je connais peu de personnes qui peuvent affirmer une chose pareille, et ça c’est déjà un si bel accomplissement. Tu peux en être très fière. Certes, c’est loin d’être fini, et heureusement ! Car avec cet état d’esprit, tu te promets à toi-même d’être authentique dans tes choix futurs quels qu’ils soient.

Tu n’es pas sans famille ni amis, tu as plein de relations autour de toi que tu vas pouvoir faire évoluer, progressivement, avec ton talent, ta discrétion, ton inventivité, ton humilité, ta générosité, au gré de ta propre évolution. Il va falloir que tu apprennes à ces personnes à t’aider. Grâce à toutes ces qualités, il n’y aura pas de problèmes: tu vas pouvoir aider les gens autour de toi à t’aider, et ce faisant, tu vas leur faire du bien, parce que tu vas les aider à s’accomplir eux-mêmes. Il ne faut jamais oublier la générosité que c’est de permettre aux autres de bien nous aider. Tu l’as vécu avec ton père et ta mère, tu sais ces choses de l’intérieur. Ne les oublie jamais.

Et puis tu te créeras de nouvelles relations dont tu n’as encore pas idée.

Et puis aussi, seule parfois, tu te sentiras justement bien ainsi, avec toi comme compagnie, à faire ce que tu aimes faire le plus, savourer le moment et toutes ses jolies surprises, comme il vient.

Encore heureux qu’il ne faille pas absolument fonder une famille pour réussir sa vie, loin s’en faut ! Ta vie telle que tu nous l’as racontée est l’exemple parfait pour illustrer cela, avec bien d’autres enseignements.

Voilà pourquoi ce serait un grand honneur pour nous, ainsi qu’un grand cadeau pour la communauté Huntington, de pouvoir mettre ton récit sur la prochaine mouture du site de Dingdingdong. Il y a le temps pour que tu réfléchisses à la question, parce qu’il ne sera pas en ligne avant le mois prochain. Si tu es partante, je le mettrai en forme, n’y changerai rien si ce n’est pour l’anonymiser, sauf si tu souhaites le faire toi-même. Il n’y a rien à toucher, à part des fautes d’inattention (si j’en vois car moi-même j’en fais pas mal !).

On pourrait également commencer à discuter sur certains passages, à te poser des questions si tu es d’accord, pour préciser certaines choses. Tout est possible. Le site va vraiment être très beau, j’y travaille d’arrache-pied ces temps-ci avec un concepteur de site Internet génial et sensible.

Mais quoi que tu décides, je tiens à te remercier Angèle, vraiment, du fond du cœur, pour cet apport si beau, si fin et si lumineux à l’édifice du savoir sur la MH.

À très bientôt, grandes bises à toutes les deux

A.

15 octobre 2012, Angèle à Alice et à Stéphanie.

Chère Alice,

J’ai beaucoup parlé de moi, et au fur et à mesure de mon récit, je me pose une question par rapport à toi. Tu réponds si tu veux.

Nous avons toutes les deux en commun ce test de dépistage et cette maladie. Nous avons vécu des évènements et ressentons beaucoup de choses identiques.

Un des éléments qui nous différencie c’est que tu as appris ta MH avec l’histoire de ta maman, les conflits que vous avez développés t’ont laissé à penser qu’il y avait sûrement autre chose qu’un conflit de caractère. Ta maman a pensé que c’était mieux pour vous trois de ne pas savoir, ou peut-être qu’elle ne savait pas comment vous l’annoncer. Je comprends tout à fait sa position. Tu as donc découvert d’abord la maladie de ta maman et suite à cela, tu as passé le test de dépistage, avec les conséquences que l’on sait. Tu as vécu ces évènements à l’âge adulte.

En ce qui me concerne, contrairement à toi, j’ai l’impression d’avoir toujours vécu avec cette MH. Chacun vit sa maladie à sa manière, je me demande quelles sont les différences à vivre ces moments avec 2 expériences de vie comme les nôtres ? Je pense qu’il n’y a pas de règle, mais qu’est-ce que tu en penses ? Je serais curieuse de connaître ton analyse.

Sinon, d’ores et déjà, je te donne mon accord, pour la mise en ligne de mon texte sur le nouveau site DDD. Comme tu le dis, il faut le remettre en forme, l’anonymiser, et j’aimerais bien le relire une dernière fois avant la mise en ligne.

J’ai longtemps souffert de manque de confiance (moins maintenant), c’est Stéphanie et toi qui m’avez fait un beau cadeau. Tu peux déjà compter sur le texte.

Pour le reste, on garde le contact et j’essaierai de répondre aux questions dans la mesure de mes moyens.

Je transmets demain un dernier petit texte sur ma famille paternelle.

A bientôt.

Je t’embrasse ainsi que Stéphanie.

Angèle

Le 16 octobre 2012, Alice à Angèle et à Stéphanie.

Chère Angèle,

Tu poses une question très importante, et je t’en remercie beaucoup parce qu’en m’invitant ainsi à y réfléchir avec toi, tu me permets d’explorer des choses inconnues.

Tu as décris les choses parfaitement. Jusqu’à l’âge de 32 ans, je ne savais pas que la MH était dans la famille. J’avais vu mon grand-père maternel malade, mais sa maladie se diluait pour nous tous dans ce qu’on appelle les maladies du troisième âge, sans qu’on s’interroge plus que ça (il est mort en 2007). Il se trouve qu’ayant fait des études de psycho, j’avais eu des cours sur toutes les maladies dites neurodégénératives (à Dingdingdong, on préfère désormais parler de maladie neuro-évolutive !), dont la MH. Mais je n’ai jamais fait le lien avant que ma mère se mette vraiment à montrer des signes bizarres (son irritabilité, la façon dont elle titubait souvent et sa diction, signes qu’on a longtemps mis sur le compte de son prétendu alcoolisme, quelle erreur). Donc pour résumer, la MH est entrée d’un seul coup dans ma vie, et là je suis tombée instantanément du 25ème étage, parce que je savais ce que ça signifiait, connaissant les détails de la maladie et de sa transmission grâce à mes études. Je me souviens que c’était compliqué pendant un moment parce que ceux à qui j’en parlais ne connaissaient pas du tout la maladie et qu’ils tâchaient de me rassurer, par protection et par amour, et qu’il fallait que je leur explique la nature de cette maladie si particulière pour qu’ils soient au diapason. Ça a pris pour chacun un peu de temps, nécessaire à la digestion d’une information pareille.

Je t’en parle aussi pour te préparer, si tu souhaites un jour en faire part autour de toi. On redoute beaucoup de le dire et en fait on est souvent surpris par les réactions… jamais de rejet cependant, ni de pitié ou quoi que ce soit (nos amis sont précisément nos amis parce qu’ils sont capables de ne pas avoir ce genre de réaction : il faut leur faire confiance !), mais souvent déroutantes, se fondant dans le caractère des uns et des autres, à mesure qu’il s’approprient cette nouvelle. C’est une info tellement forte et énigmatique qu’il leur faut du temps pour la digérer. Dans tous les cas, ils ne sont pas toi, et donc il intègrent cette nouvelle selon qui ils sont. D’où les différences de réaction, qui sont moins dues à la qualité du lien qu’ils ont avec toi qu’à leur propre histoire, personnalité etc.

(…)

Mais revenons à ta question. Ça change tout, c’est sûr… Toi, tu n’as connu le nom de la MH que très tard, mais très tôt tu as su qu’il y avait une maladie héréditaire qui était dans la famille et qui avait touché ta grand-mère, puis tu as senti pour ton père, malgré toutes les barricades que tu as mis entre tes sensations et ce que tu pouvais en conclure. Donc il y a eu cette menace (je ne sais pas si c’est le mot que tu emploierais), cette ombre qui a plané depuis très tôt dans ta vie. Tu vois c’est « drôle » parce que moi aussi j’ai eu une ombre similaire qui a plané sur la première moitié de ma vie, mais c’était de l’autre côté de la famille, du côté paternel, quand j’ai appris que mon grand-père paternel s’est suicidé. Pendant des années, jusqu’à ce que la MH survienne dans ma vie, j’ai pensé que j’avais peut être « hérité » de sa mélancolie et je me posais des tonnes de questions là-dessus. C’est pour ça (ici je vais trop vite mais ça reste juste) que je suis devenue psychologue. J’étais complètement hantée par l’énigme de mon grand-père paternel. Les liens secrets dans les familles, c’est d’abord à partir de ça qu’on travaille chacun pour soi à se définir, et pendant longtemps, je me suis sentie plus appartenir au côté paternel qu’au côté maternel de ma famille. Avec l’annonce de la MH, tout a basculé en un instant ! Une révolution personnelle, dans le sens littéral du mot. D’un coup, j’ai senti que « j’appartenais » en réalité au côté maternel de ma famille, et cela depuis toujours (avec l’annonce, j’ai reconstitué d’un coup toute mon histoire à l’aune de la MH : ce n’était plus du tout la même). Bien sûr, je reconnais aussi beaucoup de traces en moi qui viennent du côté de mon père, mais fondamentalement, tu vois ce que je veux dire, je me sens affiliée très fortement, par la MH précisément, au côté maternel de ma famille. Pour moi c’est peut être ça qui a fait la plus grosse différence d’avec ton expérience : le fait d’apprendre « d’un seul coup » les choses en étant adulte m’a contraint de redéfinir tout ce que j’avais été jusque-là, d’abord au niveau des liens d’appartenance à ma famille, puis, deuxième mouvement, cette fois au niveau strictement personnel : je me suis mise à intégrer rétrospectivement la MH dans ma propre psychologie, dans ma façon d’être, dans ma personnalité. Je me suis dis : la MH et moi sont une seule et même chose. Je ne vais pas avoir « un jour » la MH, je la contiens déjà, elle façonne ce que je suis depuis toujours, peu importe qu’elle ait commencé ou non.

Je continue de me penser ainsi. Je suis toujours un petit peu agacée (je te fais une grosse confidence, là!) quand on me dit : oui mais tu n’es pas encore malade, chez toi ça n’a pas commencé. Parce que pour moi, là n’est pas la question. Je suis née avec la MH, j’ai la MH, la MH et moi, nous évoluons ensemble. La question du commencement de la maladie m’emmerde terriblement. Je trouve que ce qui peut apparaître comme un réconfort est en réalité un piège : le « tu n’es pas encore malade » qu’on nous dit souvent est en réalité super angoissant. Moi je préfère me considérer comme : depuis-toujours-déjà malade. Comme ça, celle que je suis en train de devenir via la MH, ça ne va jamais être autre chose que moi.

Ma pauvre Angèle, j’ai peur qu’en te répondant par des tartines pareilles tu ne veuilles plus jamais me poser la moindre question ! J’en serais bien triste. Réfléchir est mon premier bonheur dans l’existence, c’est comme ça depuis que je suis toute petite, je n’y peux rien.

Grandes bises à toutes les deux

A.

18 octobre 2012, Angèle à Alice et à Stéphanie.

Coucou à toutes les deux,

Après la maladie de papa, j’ai un peu oublié de parler du reste de ma famille paternelle. Alors là, il va falloir suivre ; pas facile de raconter.

Une de mes cousines est décédée d’un cancer à l’âge de 36 ans, mais elle était porteuse du gène et était déjà marquée physiquement par la MH.

En 2001, N., un petit frère de papa qui habitait Paris et que l’on ne voyait pas souvent s’est aussi fait dépister positif. Je l’ai très peu rencontré mais il me faisait peur. Dans la famille, tout le monde disait qu’il avait des séquelles psychiques rapportées de la guerre d’Algérie, qu’il avait participé à des opérations périlleuses, voire « plus graves ». Ses frères, mon père, tout le monde s’accordaient pour dire qu’il était revenu différent de cette guerre. En tout cas, il me faisait peur. Toujours est-il qu’au mois de juillet 2001, affolement dans sa famille, il avait 4 filles. N. avait disparu. L’information a fait le tour de la famille. Une quinzaine de jours plus tard, la police a retrouvé son corps dans un étang, noyé lui aussi. Il était veuf, avait un très mauvais caractère, s’était fâché avec ses filles.

Une de ses filles a longuement téléphoné à Maman pour essayer de connaître et de comprendre la MH.

La différence entre nos vies regroupées auprès de nos malades et la vie de N., parisienne très éloignée de la MH est très étrange. Ses 4 filles savent que leur père avait une maladie génétique avec un nom bizarre, mais elles n’ont aucune idée de ce qu’est la MH. Je me suis toujours demandé ce qui était le mieux ; est-ce que c’est d’avoir vu ce que j’ai vu, ou est-ce que c’est d’ignorer ce qui peut les attendre ? Nous ne sommes pas du tout en contact, donc je ne sais pas ce qu’elles deviennent.

Et pour finir, le fils de ma tante aînée a été dépisté porteur du gène, il avait débuté la MH, il avait 50 ans. Il était célibataire. Il a passé le test à N., dans le même service que moi, et il est resté à N. Ses frères et sœurs étaient inquiets de ne pas le voir revenir. Sa voiture a été découverte près d’un étang, et il s’est lui aussi noyé en 2008.

Que de morts violentes dans cette famille.

Si l’on fait le point : sur les 10 enfants, 1 tante, 1 oncle, mon père ont déclaré la MH. Pour une de mes tantes noyée, pas de certitude, mais des gros soupçons de MH.

Sur la génération suivante :

Ma tante aînée a eu 6 enfants, Ma cousine décédée d’un cancer aurait déclaré la MH, mon cousin qui s’est noyé avait juste déclaré la MH. J’ai de gros doutes sur encore 2 enfants, mais je ne les ai pas vus depuis longtemps.

Du côté de mon père, j’en ai hérité.

Mon oncle parisien, aucune nouvelle des 4 filles.

Ce qui est bizarre, c’est que la MH a été longtemps LE sujet de discussion dans la famille, à l’époque de ma GM bien sûr, mon père, et depuis on n’en parle plus. La famille s’est dispersée, pas vraiment au niveau géographique mais on ne se voit guère entre cousins et cousines.

Au début de mes envois, je vous ai parlé d’un de mes oncles sains qui était décédé au mois de juillet. Nous étions une dizaine à sa crémation et à la dispersion de ces cendres. Il ne reste qu’une petite poignée de [nom de famille d’Angèle] qui reste en contact. Personne ne m’a posé de questions. Malgré l’invalidité, ils me trouvent tous en pleine forme. Je ne sais pas ce qu’ils pensent ? Ils ont peut-être des doutes, je n’en sais rien.

J’ai eu un peu de mal à être claire, j’espère que vous avez réussi à suivre.

Chez moi, temps triste, gris, pluvieux, mais bon un peu habituée dans la région. Amicalement et à bientôt.

Angèle

18 octobre 2012, Angèle à Alice et à Stéphanie.

Bonjour Alice,

Tu m’écris : « Quand on me dit : oui mais tu n’es pas encore malade, chez toi ça n’a pas commencé. Parce que pour moi, là n’est pas la question. Je suis née avec la MH, j’ai la MH, la MH et moi, nous évoluons ensemble. La question du commencement de la maladie m’emmerde terriblement. Je trouve que ce qui peut apparaître comme un réconfort est en réalité un piège : le « tu n’es pas encore malade » qu’on nous dit souvent est en réalité super angoissant. Moi je préfère me considérer comme : depuis toujours déjà malade. Comme ça, celle que je suis en train de devenir via la MH, ça ne va jamais être autre chose que moi. »

J’adhère complètement à ton discours. Quel réconfort de te lire. Tu as écrit les mots et ce que je ressens et que j’ai tant de mal à faire comprendre au corps médical. Je vois régulièrement une psychiatre, et comme tu le dis, elle me reprend toujours pour me dire que je ne suis pas encore malade. Je ne me plains de ma psy, je ne sais pas ce que je serais devenue en 2010 sans elle. Mais, bien sûr que l’on porte la MH depuis notre naissance, et le fait de ne pas avoir de signes évidents de la maladie ne veut pas dire que l’on ne la ressent pas, elle est là, impossible de faire abstraction, ne serait-ce que la mélancolie que tu décris. Après, chacun sa propre expérience pour vivre la MH le mieux possible.

Merci de m’avoir éclairée.

Grosses bises à toutes les 2.

19 octobre 2012, Alice à Angèle et à Stéphanie.

Comme toujours, Angèle, ton récit est très clair… et éclairant. À bien des titres.

Par exemple, je trouve très intéressant/intriguant la façon dont, avant la mort de ta GM, la maladie était un sujet qui était beaucoup abordé dans la famille, tandis qu’après, les choses ont eu l’air de s’enfoncer dans le silence. C’est le mouvement un petit peu contraire de la plupart des familles avec lesquelles j’en parle (cela dit mon expérience ne vaut que ce qu’elle vaut : je n’ai pas encore discuté avec tant de familles que ça, et d’ailleurs je trouve que ce serait intéressant de discuter avec Michelle de tout cela un jour, elle qui a recueilli tant de témoignages, c’est la personne qui est à mon avis la plus à même de nous donner une idée des tendances générales sur ce sujet). La plupart du temps, en effet, la maladie était un sujet tabou au niveau de nos grand-parents, et elle le devient de moins en moins de nos jours, avec l’arrivée du test et le changement des mentalités. En tous cas, dans le monde anglo-saxon c’est un mouvement très apparent, d’autant plus que les associations de jeunes (HD-YO notamment) et d’autres poussent à faire un « coming out » et à s’affranchir de la honte. En France, je crois qu’on est super en retard… j’espère que Ddd va aider à infléchir cette tendance.

Au sein de ma propre famille, j’ai aussi l’équivalent de ton oncle N. C’est mon oncle R. Fils de mon grand-père maternel (qui était malade), qui s’est suicidé à l’âge de 38 ans, laissant deux filles, mes cousines, qui ont quarante et des poussières aujourd’hui et qui n’ont pas voulu faire le test. Je crois qu’elles vont vraiment bien, D. merci. Evidemment, le suicide et aussi la « personnalité » de leur père, décrit par ma mère comme quelqu’un de très difficile, très impulsif et nerveux, pourrait faire penser qu’il ait eu la maladie, sans le savoir (son propre père n’a fait son « coming out » que quelques années plus tard). En tous cas, ça a été la conviction de la neurogénéticienne que j’ai vu au moment de mon test : mort violente = MH.

Une idée me vient juste à l’instant. Ma mère a fait son arbre généalogique il y a quelques années et elle m’en a donné une copie à ma demande, grâce à laquelle j’ai accès à plein d’infos importantes – heureusement que je l’ai ! Voilà qui pourrait être une entrée très pratique, pour toi, si un jour tu souhaites en savoir un petit peu plus sur où en sont tes cousins et tes cousine : « je suis en train de reconstituer l’arbre de la famille, j’ai besoin que vous me donniez des infos de votre côté et quand il sera fini, bien sûr je vous en donnerai une copie ». Tout le monde a besoin de connaître l’arbre généalogique de sa famille – même sans le savoir ! Le travail qu’il fait faire, de discussions, de mise à plat, d’enquêtes parfois, est toujours vachement intéressant et vivant. Dans ton cas, ça pourrait permettre d’aborder les choses de la MH avec ta famille sans les saisir de front.

« Je me suis toujours demandé ce qui était le mieux ; est ce que c’est d’avoir vu ce que j’ai vu, ou est-ce que c’est d’ignorer ce qui peut les attendre ? » Voilà une immense et magnifique question que tu nous poses et je t’en remercie. Pour y répondre, il faut prendre son temps parce que je crois qu’il faut prendre les choses par leurs effets. Regarder comment ça s’est passé pour les uns et pour les autres, du fait des différentes configurations que tu décris. Mais tu sais, que les proches aient « ignoré » ou non la nature de la maladie qui affectait l’un des leurs ne les empêche pas d’avoir vu, regardé, senti, et pensé les choses. Ce qui fait que chacun s’est approprié les choses différemment, qu’elles soient ou non explicites. On peut appeler ça une espèce de roman intime. On se raconte tous une histoire à partir des événements et des particularités de ce qu’on vit et de ce qui nous entoure. Et quand je dis « histoire », ce n’est pas pour dire que ce serait une fiction qui ne serait pas la vérité. C’est une histoire dans le sens noble du mot : qui abrite les deux qualités de fiction ET de vérité, parce qu’elle seule sait fabriquer un sens, une cohérence à partir de notre expérience. Pour ceux qui l’ignoraient, l’arrivée de la MH dans leur vie est une contrainte à réécrire ce roman d’un bout à l’autre. C’est ce qui m’est arrivé. Je ne sais pas si on peut dire que c’est moins bien ou mieux qu’une situation comme la tienne où tu as su « dès le début » ou presque. Ce que je sais, c’est que chacun compose avec les cartes qu’il a en main. Et ces cartes sont moins celles de la génétique ou d’une vérité avec un grand V, que celles de sa propre expérience.

Tout du long, tu as fait quelque chose du savoir que tu abritais. Tu racontes merveilleusement comment tu as su ruser, dans le bon sens du terme, avec ce savoir, le cachant longtemps à toi-même. Mais tu le sais bien, tu n’étais pas dupe. Tu l’as fait pour protéger ce à quoi tu étais alors occupée, veiller sur ton père et sur ta mère, et puis surtout : vivre ta vie. Dans ce contexte, peu importe que ça a été conscient ou pas, le résultat est le même et moi je dis : bravo Angèle. Tu as su organiser les forces en présence. Le savoir de la MH, à ce moment-là, je veux dire : le savoir explicite de la MH, n’était alors pas une force, c’est pourquoi à mon avis tu as su si bien ruser avec lui en le détournant et en le camouflant la plupart du temps.

Il serait très intéressant de savoir comment les choses se passent pour ceux, de plus en plus nombreux, qui sont contraints de faire très tôt avec l’information que la MH est dans leur famille, voire dans leurs propres gènes. Ddd est aussi là pour explorer tout ça !

Je t’embrasse bien fort, ainsi que Stéphanie.

Alice


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