Suzanne
J’ai rencontré Suzanne il y a deux ans dans le cadre de l’atelier de danse dédié aux personnes touchées par la MH créé par Julie Salgues et Philippe Chéhère à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière. Nous avons dansé ensemble et aujourd’hui nous allons régulièrement manger des fruits de mer toutes les deux parce que nous adorons ça. Suzanne a voulu apporter son témoignage pour rendre hommage à son papa, son guide, et, dans le même mouvement, raconter les débuts de sa propre expérience avec la maladie de Huntington, dont elle est porteuse. Elle est à son tour devenue, à travers ce texte et tous nos échanges avec elle, un guide précieux pour appréhender les débuts difficiles, parce que invisibles, de la maladie de Huntington. Elle a écrit ces 6 textes entre 2010 et 2014, au fur et à mesure, sans savoir qu’un jour elle souhaiterait les publier. Elle les partage aujourd’hui avec nous et nous l’en remercions. Elle dit qu’elle va mieux, malgré des hauts et des bas ; que ce n’est pas tant la MH que l’incompréhension des autres qui est difficile à vivre.
Valérie Pihet, avril 2016.
A mon père qui n’est plus là
Cette dernière fête des pères 2014.
Son dernier anniversaire le 28 avril 2014.
Soudain à mes yeux, toutes les choses prennent une autre forme, il faut faire autrement, aller à l’essentiel, sans panique et sereinement.
Un cadeau très beau, une paire de draps douillets, un splendide rosier planté dans son jardin qui va renaître à chaque printemps.
J’avais surnommé son lit, un « lit de premier ministre ».
Avis du médecin : deux jours ou trois semaines. Mon avis n’était pas celui-là.
Et heureusement, j’avais raison.
L’amour autour de lui a détrôné la médecine.
Le seul qui a choisi de nous quitter pour de bon, c’est lui et lui seul !
Il s’est bien fait comprendre.
Il m’a fallu une année entière pour comprendre que tout cela était vrai.
Papa, alors tu n’es vraiment plus là.
Je suis sans croyance religieuse et en plus le destin m’avait moi aussi frappé de cette mutation génétique.
A mon tour, il fallait me battre depuis 2009, sans lui avoir dit, cela l’aurait rendu trop triste.
A mon père que j’aimais.
Suzanne
Témoignage 1
Cette jeune femme est à l’aube de ces quarante ans et souhaite marquer la fin d’une vie tellement atypique mais totalement invisible. Elle n’a pas prénom, elle est x ou y.
Une jeune femme dynamique, à la charnière de la moitié de sa vie, un optimisme à toute épreuve, organise pour marquer cette réussite une énorme et exceptionnelle soirée.
Dans un château, en Normandie, un vrai conte de fée pour elle et ses invités, deux journées exceptionnelles.
Cette soirée devait marquer le début d’une nouvelle façon de vivre, avec plus d’enthousiasme encore, une manière de dire qu’elle avait réussi efficacement autour d’une famille pas des moins contrariantes.
Elle est belle, enjouée, énergique et veut définitivement changer son destin qui depuis longtemps est lourdement frappé par un entourage familial des plus curieux, mais c’est là quand même.
On ne peut y échapper.
Elle est née femme libre et drague ouvertement les hommes, qu’elle collectionne, en pensant trouver un jour celui qui verra la face cachée de cette femme souriante, enjouée et heureuse.
Elle arrive la toute première dans une famille aimante, fait le bonheur de ses parents, l’adoration de ses grands parents, de ses oncles et de ses tantes.
Elle a un large sourire et baigne dans le bonheur familial. L’amour de sa famille la construira, elle veut la garder autour d’elle pour toujours.
De là, comme toute famille : divorce, remariage, beau père très charmant, frère et sœur. Elle reste fidèle à cette famille, mais ne rencontre pas d’homme pour partager sa vie.
Elle est très bavarde à l’école, ce qui lui vaut beaucoup de punitions, et au travail elle persiste, très bon élément mais bavarde, elle se saoule de tout ce débit.
Mais au milieu de ce grand bonheur, règne le silence, le secret de toute famille lourdement marquée par une maladie. On assume notre sort et celui de nos malades, et en plus, dans la totale discrétion de peur qu’ils ne se fassent enfermer.
Et là, vous vous dites que ce n’est pas vrai, cela n’existe pas ; mais si, vous vous trompiez, vous devez le mettre dans un endroit choisi par la médecine. Les neurologues vous suggèrent comme ultime solution la psychiatrie, internement pur et dur.
Je défie quiconque d’entre nous d’arriver à cette solution.
Votre parent qui représente pour vous tout l’amour d’une enfance et d’une adolescence un peu bousculées par un malade, mais néanmoins votre parent quand même. Et cet amour reste malgré la maladie.
Alors un beau matin vous avez dix ans et votre grand-mère, uneune grand-mère aimante, courageuse qui depuis que vous êtes arrivée sur cette terre vous gâte, et bien elle n’a plus de prénom…
Elle vous a fait les meilleurs plats de votre enfance, vos habits de poupée, et là, doucement elle change. Vous entendez dire qu’elle est malade. Elle l’exprime mais n’a que peu de signes distinctifs pour nous et nous lui disons tout simplement « tu n’as rien, tu n’es pas malade, tu as mauvais caractère, c’est tout. »
Elle se retrouve dans l’isolement familial qui ne comprend pas ses changements d’humeur occasionnels. On attribue cela à de la mauvaise humeur, alors que malheureusement cette personne ne peut contrôler cette nouvelle manifestation, cela ne dépend plus d’elle.
Et la famille ne souhaite pas que cette personne change. Elle affirme haut et fort « mais tu n’as rien, tout va bien. »
La vie continue au sein de cette famille avec les bons et les mauvais moments, mais surtout il n’y pas de malades chez nous.
Je parle de tout cela pour toutes ces familles où règne encore la loi du silence.
Je n’ai aucun signe extérieur qui puisse faire paraître un passif familial aussi compliqué que aimant à la fois.
Je vais bien et pour tout le monde j’ai une famille normale et en bonne santé. Le peu de personne à qui vous évoquez tout cela vous regarde très étonnamment.
Elle a dix ans et repère qu’elle mange toujours le même dessert chez cette grand mère,. Elle remarque heureusement que ce dessert a différents parfums : vanille, café, chocolat. Et après tout, c’est un dessert. Elle garde cela dans un coin de sa tête, et petit à petit une mauvaise humeur envahit tout doucement cette grand-mère. On attribue cela au fait d’avoir une grand-mère qui vieillit mal, mais tout doucement et insidieusement, elle fait d’autres choses curieuses, toujours pas très marquantes, mais troublant l’entourage.
Et cela y va bon train, grand-mère n’est pas marante, papy devrait être plus sévère, il lui dit oui tout le temps, il a tort… Vous menez votre vie quand même au milieu des aléas de cette personne et vous n’y croyez toujours pas. Les crèmes desserts finissent par arriver brûlées sur la table, et les poêles passent par la fenêtre, c’est fou la possibilité d’intégration de tout cela, les portes de placard qui claquent toute la nuit pour nous dire « mais moi je suis là, je souffre » et nous on ne voit rien, on assimile tout cela à de la mauvaise humeur.
Et surtout, on ne veut pas voir cette personne qui change car on l’aime en bonne santé. Mais on ne veut en aucun cas partager un changement qui existe et qui expliquerait tout simplement qu’elle est effectivement malade et en souffrance, mais qu’elle n’arrive pas à le formuler.
On l’aime trop pour penser au pire mais le pire est en train de s’opérer.
Et sachant le facteur à risque d’une maladie héréditaire – la chorée de Huntington – ,vous vous faites doucement et sûrement à cette idée. Vous n’allez pas voir les médecins car leurs connaissances sont faibles, vous vous débrouillez avec la famille, enfin ceux qui résistent, et moi j’ai fait deux fois l’expérience à l’aube de mes 40 ans, une fois avec ma grand-mère, de mes dix à mes trente huit ans, et une seconde fois avec mon père, de mes trente à quarante ans, peu de répit pour souffler.
Et un jour le miracle s’opère, vous soufflez, vous respirez.
Vous vous organisez pour vivre malgré tout cela et cela sans vous plaindre et une épée au-dessus de vous persiste. Vous avez tout d’un coup compris que ce lourd héritage familial est aussi un héritage de mauvaise santé pour vous-même.
Mais vous êtes toujours cette jeune femme de 40 ans, gaie et souriante.
Un beau matin de vos 41 ans, des choses légères se transforment chez vous. Votre entourage ne considère pas cela comme très grave ; et le travail vous semble difficile à réaliser ; et on attribue ces manifestations à un mot très généraliste, une dépression. Quelle aubaine, tout le monde en fait une dans sa vie, mais vous, vous savez bien que ce n’est pas cela du tout.
Fatigue, perte du plaisir, boulimie, perte de la mémoire, perte de la concentration, perte de l’intérêt pour à peu près tout.
Et de dire à cet entourage que ces manifestations sont réelles et elle voudrait tellement comprendre ce qui arrive plutôt que de fuir encore une fois le problème. Les deux générations qui ont précédé la mienne, n’ont eu que pour ultime retour qu’on ne les croit pas.
Deux personnes.
Témoignage d’une maladie invisible, mais présente quand même et tellement insoupçonnable Ne trouvant pas la paix intérieure toute seule, j’ai eu l’idée d’écrire les événements de ma nouvelle vie avant que cette mémoire ne disparaisse trop vite.
Une idée qui servira peut-être auprès des autres.
Je n’ai pas le talent d’un écrivain et mon écriture est très transformée.
J’ai décidé de faire cet exercice comme thérapeutique pour vider de l’intérieur le lourd poids d’être une malade et non plus une personne en bonne santé.
A l’heure où tout le monde parle de ne pas vieillir, de ne pas mourir ; il faut être beau jeune brillant et mince. Moi je suis dans une pathologie médicale où le vieillissement est précoce, cela n’est pas très fun. Alors votre entourage ne l’accepte pas et ne comprend rien. Il vous fait des remarques totalement hors sujet et vous dit « tu es simplement fatiguée ». Des mots qui sont hors de cette réalité qui est sur vos épaules et vous, vous essayez en vain de dire plus, mais l’écoute n’est pas là.
Du genre : « tu te fais des idées », « penses à autre chose et cela ira mieux », « pars en vacances », « vas chez des amis ».
Et moi je ressens fortement ces troubles. Je suis habitée par une autre personne par moments de ma vie et cette personne me dérange, la cohabitation est difficile et invisible pour les autres.
J’espère trouver une certaine sérénité avec ces pages d’écriture.
Cette maladie, je veux lui donner comme un prénom autre que le mien, parce-que ce n’est pas moi.
Je pense que j’ai trouvé son prénom : L’AUTRE.
Alors je vais vous parler de L’AUTRE. Depuis deux ans après le décès de mon grand-père, avec lequel un grand amour et une grande complicité nous unissaient, j’ai senti les premières manifestations. Et depuis que L’AUTRE ne m’attire que des ennuis, je tente de comprendre et de le faire comprendre et personne ne comprend.
De terribles troubles de la conduite, de l’écriture, de la concentration dans les discussions, je dis oui tout le temps, perte de l’envie et de l’intérêt, et troubles de la mémoire.
Quel intérêt de continuer cette nouvelle vie à laquelle vous ne vous êtes pas du tout préparée. L’AUTRE vous dérange tout le temps et vous vous découragez. Quand L’AUTRE disparaît de nouveau, vous êtes vous-même et heureuse de vous retrouver, mais malheureusement L’AUTRE revient, L’AUTRE attaque à nouveau et vous savez que tout cela ne présage pas de bonnes choses.
Alors je tente lorsque L’AUTRE est absent, de garder ma place et pour un court moment d’être moi.
Bien évidemment, ma force personnelle se limita en fin de cette année 2009 et à la suite de disputes au travail et d’un changement de service radical, je mis fin à mes jours.
Je vous fais grâce de ce passage à l’hôpital et de cette descente aux enfers. On vous fait sortir très vite car vous n’êtes pas malade, vous faites une dépression.
Des journées qui se succèdent avec des troubles de l’attention et de la concentration très troublants, et ne plus avoir envie tout simplement, pas envie.
Hier j’ai assisté à une projection avec ma tante et ma mère sur le cheminement intérieur et invisible que provoque cette maladie. Très juste représentation du besoin que cette maladie a, trois impacts : le premier d’être malade ; le deuxième d’être dans un silence et un secret le plus total, qui rajoute de la douleur réelle ; et un troisième impact de connaître par la voie de la génétique si vous êtes porteur ou non.
On vous adresse de façon très directe votre futur et cela n’est pas terrible, et même très violent à recevoir : la bonne ou la mauvaise réponse.
Entre une supposition de symptômes et une réelle déclaration, vous voyez les conséquences sur soi qui sont bien difficiles.
On vous explique que la maladie ne guérit pas.
Ce résultat plombe l’ambiance personnelle et familiale alors que la MH entre dans votre vie par la petite porte et termine par vous habiter complètement.
Je ne veux pas faire ce test.
Mais après la visite ultime chez une neurologue expérimentée, j’ai eu la réponse.
Je suis atteinte de la MH
Presque un soulagement, enfin j’avais raison ; une grosse claque, mais j’avais raison.
Ce lourd silence m’a déstabilisée pendant deux ans, c’est long deux ans.
Et de rencontrer un homme malgré tout cela.
Drôle de chemin parcouru, du début de la déclaration de la maladie chez mon père, il s’est manifesté chez moi un très fort sentiment de colère et d’injustice – pourquoi lui et après peut-être moi.
Mais ce malade prit beaucoup de place dans ma vie et toute la place d’ailleurs.
J’ai fait un long chemin d’acceptation et de nouveau rire avec lui et lui-même me remercier et me dire qu’il m’aime et souhaite être centenaire.
Ce témoignage c’est x et y.
Aujourd’hui avant que ma mémoire disparaisse, je veux témoigner au nom de sa souffrance mal comprise par les médecins etc.
Mon père tournait tout à la dérision et me faisait rire aux éclats.
Tout doucement l’écriture se transforma, comme moi aujourd’hui, et il me disait « les docteurs écrivent mal » et moi je riais aux éclats, je n’avais aucune forme de soupçon. C’était très peu visible, après ce fut la conduite et la façon de marcher, toujours il rigolait et me faisait croire qu’il avait bu et moi je riais riais riais…
Et ensuite de forts sauts d’humeur.
Et là l’évidence apparaît seule vous le voyez.
Et votre grand-mère aussi est présente. Ce malade envahit complètement vos emplois du temps et trouble beaucoup vos émotions. Vous perdez votre père, ce n’est plus le même, et vous ne voulez pas du tout du tout cela, mais tout cela est bien là.
Vous vivez un deuil des compétences de votre père tous les six mois et une machine à dire non tout le temps.
Il faut vraiment croire en eux plus qu’en nous-mêmes.
Témoignage 2
L’envers du décor de ces personnes atteintes de la MH.
Ils sont hommes et femmes et voudraient crier leur douleur, mais cela ne se fait pas, ils gardent en eux la rage d’un changement de vie des plus catégoriques dont ils ont toute conscience.
Ils sont malades mais pas tout à fait quand même. Une grande fatigue les habite.
Un épuisement incontrôlable, même le repos ne suffit plus.
Et tout d’un coup comment s’occuper ? Tout simplement le cerveau ne veut pas suivre, il n’est plus totalement en connexion, ce cerveau est capricieux, il n’en fait qu’à sa tête.
Projet de vie lourdement transformé ; deuil de beaucoup de capacités ; épuisement et le manque d’envie. Voilà le gros problème de cette maladie à ses débuts.
Et votre entourage, témoin de votre vie, trop souvent ne semble pas et toujours pas vous croire. Ils pensent que cela va aller mieux d’ici peu. La réalité est toute autre : le malade peut prendre les événements de la vie actuelle avec fort succès, mais tout d’un coup cette même personne cafouille, pédale dans la choucroute.
Alors je crie sur ce clavier depuis que cette annonce m’a été donnée car ce que je peux faire aujourd’hui ne durera que peu de temps et je tiens à être un témoin actif et pas passif de cette situation au travers de la MH, pour tous ceux qui la vivent dans un grand silence et abandon familial, professionnel et amical. Ce n’est pas mon cas.
Mais je suis une femme seule comme beaucoup d’autres et je passe plus de temps à essayer de récupérer de l’énergie positive que de me laisser emporter par cette pathologie, qui me perturbe depuis deux ans.
Ne négligez pas leur souffrance sous prétexte que cela ne se voit pas. On doit avant tout leur faire confiance et surtout ne pas leur mentir.
La chose la plus simple à faire pour tout le monde est pour ces personnes tout le contraire, comme s’ils avaient des freins invisibles.
La simple perspective de vivre une journée normale, comme ils voulaient faire avant ces modifications, les mettent KO.
Un café pour démarrer, quoi de plus facile. Pas pour ces malades, l’épuisement prend le dessus.
Elle voudrait ne plus avoir cette souffrance et faire comme tout le monde, elle rage, elle crie.
Pour moi cette rage, je la transforme sur cet écran. On vous dit de profiter de la vie mais cette pathologie vous en empêche, elle a le contrôle de votre vie. Rien de plus important que de se faire plaisir mais ce n’est absolument pas possible.
LE PLAISIR ET LES EMOTIONS.
Aujourd’hui la seule chose qui me ferait plaisir, c’est de ne pas avoir cette maladie.
Ce serait totalement fun, tout comme avant, tout comme avant, mais il n’en est rien.
Et pour arranger mes affaires, la MH ne se guérit pas, cela je l’ai bien compris.
« Fais-toi plaisir. » Cette simple phrase, mais vous ne pensez plus à cela, c’est terminé. Pour vous le plaisir, la joie, les émotions, c’est terminé, il faut attendre que chaque jour soit un jour différent, plein de bonnes ou mauvaises surprises.
Votre corps est vieux à l’intérieur et à l’extérieur, il est bien totalement invisible.
Et à la moitié de votre vie, vous aviez envisagé de faire des enfants comme tout le monde.
La douloureuse réponse du neurologue vous fait comprendre qu’en plus de vous occuper de grands malades depuis longtemps, vous devrez faire le deuil de la possibilité de faire un enfant.
Et puis d’abord, nous on a rien demandé.
Cela nous tombe dessus comme un lourd fardeau et une lourde épreuve.
Notre surnom, cela devrait être M et Mme « pas envie ».
« Bah tu fais quoi de tes journées ? » Alors vous répondez « bah rien », avec grande surprise et peu de compréhension du fait que vous ne fassiez rien. Mais laissez-nous tranquille à la fin.
Je n’ai pas de projection dans le futur, j’ai assez à faire avec le présent, croyez-moi.
Le total flou actuel dans lequel je vis me suffit et la trouille.
Et de se poser la question « mais je vais faire quoi de cette foutue journée ? »
Et en plus au milieu de tout cela, vous avez déjà un malade à charge à ne pas abandonner et cela vous fait passer d’excellents moments.
Et avant de se mettre à dire. Il a évolué avec cette maladie sans me le dire, me le formuler, et il me faisait rire beaucoup de tous ces changements.
Vers la quarantaine, mon père eut du mal à écrire et il me déclara que les docteurs écrivaient mal aussi. Je n’ai absolument pas considéré cela comme grave et ensuite avant de prendre un livre, il le reposait en disant qu’il lirait plus tard. De tels détails vous semblent insignifiants, mais pourtant c’est le début de cette maladie. Mais comme votre père rigole, on se dit qu’il est en pleine forme. Pourtant je voyais très souvent mon père et tout cela, ne pas s’inquiéter, c’est peut-être mieux ainsi. De l’avoir toujours vu rigoler et dans notre société, si on rigole c’est signe de bonne santé. Détrompez-vous, ce n’est pas parce qu’une personne rigole, qu’elle ne souffre pas à l’intérieur d’elle. Je vous conseille après cette expérience d’être un peu plus vigilant et de les protéger de même. Mon père a subi des abus en tout genre : financier, amical, vente de l’entreprise à perte et vente de la maison pas très chère non plus, et vous laissez faire pour qu’il garde une autonomie. Mais elle finit par coûter cher cette autonomie et là vous mettez le nez dans ses comptes : deux ans de comptabilités pas faites, le fisc ne voit pas cela d’un bon œil, il pense que vous l’avez fait sciemment.
Et tous les médecins de me dire « votre père est un feignant ». Je savais bien que cela n’était pas le cas mais je ne comprenais pas ce qui lui arrivait. Mais je l’ai toujours cru et le plus que je me souvienne, c’est le fait qu’il me faisait beaucoup rire, alors je n’avais pas d’inquiétude.
En ce qui me concerne, c’est mon père dont j’ai la charge. Je l’appelle « la machine à dire non ». Il dit non tout le temps et vous faites preuve de patience afin de ne pas le contrarier.
Un matin vous vous levez et vous vous dites, je pars, je laisse tout tomber, c’est effectivement trop dur à vivre.
Un réel découragement se fait sentir puisque ce fameux parent est dans vos pattes depuis déjà quinze ans, et votre grand-mère a été la première personne à vous dire non et tout le temps non. En ce qui concerne ma grand-mère, elle a vécu jusqu’à 78 ans -pas simple du tout pour la famille- et a fait en tout et pour tout trois semaines d’hospitalisation.
Alors que fait-on de ces personnes qui n’ont à ce jour que la possibilité de passer leur vie en psychiatrie ? Pour avoir eu à charge deux membres de ma famille, et pendant longtemps, je vous affirme qu’ils n’ont aucune place dans de tels lieux.
Mais leur vie à mener quand même quelque part et pas toujours à la charge de leur famille.
J’implore les instances de nous aider dans l’implantation de vrais lieux d’accueil.
Témoignage 3
A l’aube d’un matin, tout redevient normal. Il faut saisir au vol ce moment et en profiter à fond car cela ne va pas durer. La paix est de retour, complètement vous-même, complètement sereine et avec une folle envie de vivre à nouveau. Que de bonheur pour moi, envie de crier à tous que tout va bien à nouveau et que cela est pour une fois revenu pour toujours, mais dans cette pathologie le mot toujours n’existe plus.
Il faut faire avec le fait que L’AUTRE va revenir sans prévenir et aucune raison ne vous permet de comprendre à quel moment L’AUTRE revient. Je cherche vraiment à le voir apparaître, mais je ne sais jamais quand cela va se produire et c’est bien dommage.
Je pense que ces pages d’écriture m’aideront à maintenir le cap et à vous, personne totalement extérieure de cette pathologie, vous faire comprendre cette forte perturbation et solliciter votre indulgence au niveau du changement de la personnalité même de la personne, si violente et si troublante pour les autres.
J’ai envie de sauter partout, de donner des rdv, des soirées, de me lancer à fond dans la vie, avec une nouvelle force et plein d’entrain, de projets etc…
L’AUTRE a disparu enfin et pour toujours, c’est ce que j’ai envie de me dire en ce jour bénit par le fait d’être moi, de regagner de la force et de la transmettre à autrui et de se sentir comme les autres.
Je ne demande pas à mon entourage de comprendre ce phénomène mais je le fais pour moi, pour combattre L’AUTRE et pouvoir gagner en sérénité, que je retrouve ma place plus souvent qu’a son tour.
Vous ne savez plus lire ni écrire mais le paradoxe vous permet de saisir sur l’ordinateur quelle confusion pour l’entourage, et pourtant tel est le cas.
Je ne mens en aucune façon. Ce témoignage est fait de façon sérieuse et responsable pour que chercheurs et neurologues y trouvent une piste.
Revenir à un acte comme le suicide ne serait en aucun cas la bonne solution à adopter car vous redevenez à cette phase de votre maladie une personne comme les autres.
Je m’adresse à ces malades de la MH : ne doutez pas de vous et sachez par mon expérience personnelle, qui vaut ce qu’elle vaut, que vous sortirez de ces états de crise et reviendrez vous-mêmes, pour une période X, mais pour une période quand même et cette période, il ne faut pas la rater, il vous faut la vivre.
Les choses que j’exprime vous paraissent peut-être brutales, mais elles sont ainsi et pour nous malades, nous souhaitons une nouvelle appréciation de cette maladie, pas que des croix dans des cases références établies par la médecine. C’est beaucoup plus nuancé qu’il n’y parait.
Il faut garder espoir auprès d’eux, les renforcer toujours après une crise, leur faire avoir de nouveau confiance en eux.
Et leur dire que tout simplement on les aime.
Un dimanche comme tant d’autres, je vais rendre visite à mon père atteint de la MH. Il vous semble à vous, extérieur à cette maladie, que ce sont simplement des corvées, de mauvaises journées. Vous vous trompez vraiment à ce sujet car cette personne est de fait votre père et de fait vous apporte beaucoup d’amour, de joie dans votre construction actuelle. En ce qui me concerne, il m’a transmit le début de cette pathologie la MH.
Cet amour sauve tout le reste et vous fait oublier qu’il est malade. Il reste et restera votre père et l’amour sauvera la situation face à cette maladie.
Je ne donne aucune leçon envers les personnes qui s’occupent ou ne s’occupent pas de ces proches, il faut le faire chacun à sa façon il n’y a rien de tracé à ce sujet.
Moi je le fais sans tirer aucune gloire, mais je le fais, c’est aussi simple que cela.
Et cet amour qu’il me renvoie me donne le courage de continuer jusqu’au bout.
J’ai déjà fait la même chose avec ma grand-mère et cela dura jusqu’à ses 78 ans. Long parcours que celui-ci, mais c’est ainsi que je l’ai vécu et pour l’instant je ne vois pas en quoi ces personnes m’ont nui de quelque sorte que ce soit. Elles m’ont fatigué, pas nui.
Je ne veux pas d’éloges ou de remerciements inutiles, je veux simplement faire comprendre qu’un malade n’est pas qu’une corvée mais un être à part entière, c’est aussi simple que cela.
Au nom de tous les malades, je me permets d’insister encore et encore, leur place n’est pas en psychiatrie mais bien dans d’autres lieux adaptés à eux.
Et je veux vraiment le faire comprendre, mon bonheur à ce jour, c’est que d’autres lieux d’accueil ouvrent leurs portes et leurs cœurs à ces malades qui en ont grandement besoin.
Au sein de l’association avec laquelle je collabore, nous mettons 10 ans pour faire ouvrir une structure d’une quarantaine de places. Quelle désolation, c’est effectivement des délais trop longs.
Si je continue le combat c’est dans l’espoir de trouver une place pour moi car je ne veux pas être à la charge de ma famille et encore moins à la charge d’un mari.
Je veux continuer avec force pour que ces malades gardent leurs dignités.
Ils comprennent au fil de leur vie tout ce qui leur arrive.
Si vous le pouvez, témoignez leur un peu d’amour.
Ils ne sont que malades après tout et totalement indépendamment de leurs volontés.
Témoignage 4
Un jour comme un autre
Le mauvais temps me pousse à me remettre à écrire et à espérer de nouveau en la vie, après un dimanche passé auprès de mon père. Il m’a fait avoir de nouveau confiance et je ne dois pas perdre confiance malgré tout cela. Mon père m’a fait l’heureuse surprise de vouloir vivre jusqu’à cent ans, quel beau projet, et je souhaite moi aussi qu’il vive jusqu’à cent ans malgré le fait qu’il soit un malade à charge. Son envie de se battre me donne l’envie de me battre aussi, je l’admire tout simplement. J’ai réussi à force de travail et de patience à le rendre heureux et je m’en félicite.
Et je n’ai pas terminé. Ce père reste mon père attachant et rigolo comme il l’était avant qu’une maladie vienne troubler notre existence. Elle a fait beaucoup de dégâts au début de la déclaration. J’étais anéantie : un père que j’aimais tant et si fort, qui se mettait à me dire des choses peu agréables et de temps en temps méchantes. Cela m’a rendu triste pendant deux longues années, je voulais retrouver mon père en bonne santé et pas celui qui était malade et lui refusait cette maladie en bloc. Que de chemin parcouru pour en arriver à cette heureuse nouvelle, je suis une femme heureuse et mon père aime la vie à nouveau.
Cela m’a pris dix ans, un détail, de mes trente ans à mes quarante ans, mais j’ai gagné contre la maladie. Il est enfin heureux et encore dans sa maison. Je ne suis pas une garde malade, je suis juste sa fille qui veut le voir et souhaite le voir bien. Je peux me jeter des fleurs sur ce sujet, ce fut un parcours tumultueux pleins d’embuches, mais une totale réussite.
Cette réussite m’a valu d’organiser en grande pompe mes 40 ans et de ruiner mon père pour qu’il m’offre une tenue des plus splendides et des plus chères. Après tout, je le méritais, je suis d’un naturel plutôt modeste envers moi et je ne devrais pas après un tel parcours et une telle réussite, je devrais avoir une médaille symbolique mais une médaille quand même. Je pense que la médaille symbolique, c’est que mon père soit enfin heureux et je veux dire avec beaucoup de plaisir.
Mon père et moi, une complicité à toute épreuve, et notre amour à eu raison de cette bizarre maladie. J’ai gagné et j’en suis très heureuse et je vous suggère de croire en eux comme j’ai cru en mon père, cela finit par porter ces fruits.
En dix ans de combat, je n’ai pas fait que cela, j’ai fait comme tout le monde : me rendre à mon travail, jamais absente, je faisais les deux choses de façon parallèle et je vivais une vie de femme de 30 ans – amis, sorties, voyages, expos, théâtre, une vie sociale bien remplie, mais au milieu de tout cela j’ai réussi à faire face et à gagner.
Je l’exprime sans pudeur car je sais par quelle genre d’expérience, vous, famille de malade, vous passez et je témoigne de ma réussite pour vous dire qu’un jour le soleil reviendra au sein de la famille.
Une grande complicité nous liait mon père et moi et au fil des jours je vis mon père malade de façon très discrète, mais malade quand même. J’étais la première à le voir et à m’en cacher, à me dire non pas lui. Cela me fit tomber dans une forme de tristesse incurable et lui il rigolait de tout cela, moi je riais jaune.
J’ai même envisagé de le jeter du haut d’une falaise – Etretat – mais la loi nous l’interdit. Cette idée était très forte chez moi, très présente, et tout doucement je me suis calmée. Auprès de ces malades, il faut faire preuve d’une grande patience et j’avais eu l’expérience d’avoir laissé notre grand-mère avec peu de compréhension de notre part et je sais qu’elle en a beaucoup souffert.
Ces malades ne doivent pas passer par la souffrance, c’est à nous de les comprendre, de nous mettre à leur niveau et pas le contraire.
Maintenant que je l’ai compris, je veux le faire savoir, je veux le crier pour tout ceux qui souffrent encore au travers de cette pathologie, qui s’enferment dans un silence qui ne fera qu’accentuer la pathologie. Le milieu médical doit faire un effort la dessus.
Il minimise la souffrance et c’est bien dommage. Ces malades ne se plaignent pas, mais on peut déduire qu’ils souffrent.
Mon début dans la maladie. Ma grand-mère qui me fait décidemment fausse route.
Je constate depuis deux ans des troubles de la mémoire, de la conduite, de l’écriture et de la lecture et un manque d’envie. Je sais tout de suite ce que cela me présage, je préviens mon travail qu’il faut que je fasse des recherches médicales pour trouver ce que j’ai et que cela va prendre un peu de temps, mais comme les choses ne se distinguent pas, on me classe dans la catégorie des feignantes et distraites, avec un manque de volonté. Cela ne fait que accentuer mon état, je perds confiance et me trouve coupable de déranger le service et de devoir faire à nouveau comme avant. Je vois mon généraliste, je lui explique cela et il m’explique que vivant auprès d’un malade, mon père, je simule cette maladie et que je fais une dépression. Je le crois et je continue à aller au travail et tente de me dire que j’invente cette maladie, mais au fond de moi je sais que j’ai malheureusement raison. Là-dessus, ma grand-mère décède brutalement et me laisse seule face à cette maladie et au médecin me conseillant de m’éloigner de mon père et de guérir de ma dépression.
On me fait savoir que le corps médical a raison, j’accepte ce qu’ils me disent, après tout, ce sont des médecins, je dois me tromper.
Une nouvelle dispute se produit au travail. Considerée comme un manque de volonté de ma part, j’avise ma direction et l’infirmière qu’en aucun cas je fais de la mauvaise volonté mais que je suis dans l’attente d’une réponse médicale qui devait se produire les jours suivants.
Ma direction me proposa de changer de service. Je pris cela comme une double punition : un, j’étais malade et deux, on me punissait en me mettant ailleurs.
Je ne reviens pas sur l’acte que je commis cette soirée là.
Je préfère parler de la suite qui semble plus optimiste. Je vais donc comme prévu passer plusieurs examens et pour finir, me faire dire que j’ai une dépression et rien d’autre, que je peux retourner au travail et simplement ne plus voir mon père. Quelle drôle d’idée, je savais au fond de moi que le médecin était dans l’erreur. Elle me dit que le médecin c’est elle et pas moi, et qu’elle est très bonne neurologue.
Je repartis avec tout cela sur mes épaules, très seule. Bon, puisqu’elle le dit, elle a raison. Je retournais au travail où les choses ne s’amélioraient pas évidemment.
Je commis le geste irréparable pour faire comprendre autour de moi que les choses étaient graves et pas suggérer comme elle me le disait.
Je me suis trouvée au sein d’un hôpital qui me confirma la même chose : dépression.
Je pris un autre rendez-vous auprès d’une autre neurologue. Je peux vous dire que vous rendre à deux rendez-vous de ce type là sont des expériences douloureuses.
Elle me fit passer l’examen d’usage et me demanda si je voulais la vérité et je répondis oui, que je voulais la vérité. Son diagnostic fut de me dire que j’avais la MH. Enfin je comprenais pourquoi j’étais si bizarre, ce fut comme un soulagement mais aussi un total découragement.
Depuis je suis en arrêt de travail et mon médecin psychiatre est bien en peine avec moi, il ne sait que faire. J’ai de la pudeur à être heureuse malgré tout cela et fait des projets de vie comme tout le monde ou presque. Une maladie c’est un état de fait mais on peut la contourner avec des pistes pour être heureux et je suis heureuse.
Témoignage 5
Je me dois de citer.
Il faut que vous parle d’une personne qui a beaucoup participé à tout cela : ma grande-tante Janine Elle devient experte en la matière et a commencé successivement une première fois avec sa mère et une deuxième fois avec ma grand-mère et une troisième fois auprès de mon père.
Je veux au travers de ces pages la remercier de le faire si bien.
Si elle n’était pas là, je serais contrainte de mettre mon père dans des lieux de vie qui ne sont pas pour lui et je lui dois un grand merci.
Et merci c’est un mot trop faible pour exprimer ce qu’elle fait depuis tant d’années.
Et de ne jamais se plaindre et d’une très grande modestie de sa part de faire cela.
Elle communique à mon père beaucoup d’amour, ce qui a un effet thérapeutique sur la maladie. Cela lui fait du bien, beaucoup de bien.
Ils ont besoin d’amour, tout comme nous, et cela il ne faut pas l’oublier. Il faut les encourager et les féliciter de ce qu’ils font même si cela est peu de choses.
Ma grande-tante aime mon père comme il est et ne cherche pas autre chose que de l’aimer tel qu’il est et c’est possible à réaliser.
Et mon grand-père aussi a joué son rôle de mari lorsque ma grand-mère est tombée malade et ensuite il a poursuivi avec mon père. Je tiens à le remercier et écrire cela pour exprimer autant de travail demandé à une famille si peu reconnue auprès des pouvoirs publics.
On vous renvoie chez vous avec vos problèmes et aucune solution.
Je l’ai fait aussi mais j’estime que ce n’est pas qu’à la famille de faire tout cela mais à des structures bien adaptées d’ouvrir leurs portes et leurs cœurs.
A ce jour, sur la région parisienne une seule structure existe, il en faudrait tellement plus.
La Hollande a mieux exploité ce sujet.
Je suis une future malade et j’affirme que ma place n’est pas dans des lieux comme la psychiatrie, ils ne savent pas s’occuper de ces malades.